parler, acquiesçant par son silence. Ses larmes séchaient
au bord des paupières.
--Sans doute, continua l'abbé, de cette voix blanche qui démonétise les
mots, les émousse, les annule presque, c'est un jeune homme sans
principes religieux, que la pensée de l'adultère (il pesa avec intention
sur ce mot) ne ferait pas hésiter?
Elle l'interrompit vivement:
--Oh! non, mon père! ne dites pas cela... Je vous assure que le pauvre
enfant n'est pas coupable!... ou du moins je le suis autant que lui... Mon
Dieu! Je ne sais pas comment cela s'est fait. Je l'avais vu plus d'une fois
sans prendre garde à lui. Il vivait à Cannes avec sa mère...
--Une Espagnole, n'est-ce pas? fit l'abbé. Une dame très élégante,
toujours malade?
--Oui; il l'a perdue voilà bientôt deux ans: ça été pour lui le premier
coup. Nous ne l'avons pas revu pendant des mois; il s'était enfui en
Italie et ne voulait plus revenir. Il est revenu pourtant en février dernier,
et presque tout de suite ces affreux événements sont arrivés... la faillite
de la banque anglaise où son père avait de gros capitaux, le coup de
revolver qu'il s'est tiré se croyant ruiné. Le jeune homme a tout appris
le même jour. Il est tombé malade; nous l'avons recueilli et soigné.
--Et depuis?
--Depuis, il demeure avec nous, naturellement... ou du moins avec M.
Esquier, et prend ses repas à la maison... Pauvre enfant, ajouta-t-elle
attendrie au rappel de ses souvenirs, si vous l'aviez vu à ce moment-là!
On ne pouvait pas ne pas en avoir pitié. Du jour au lendemain la perte
du père et la ruine, à vingt-quatre ans...
--La ruine complète?
--Non, heureusement. Nous l'avions tous cru d'abord... Mais les
créances ont été payées en partie. Il reste à Maurice douze mille francs
de rente.
--Douze mille francs! s'écria l'abbé, mais c'est presque la richesse pour
un jeune homme qui travaille.
--Oh! songez qu'il avait été élevé princièrement, qu'il se croyait destiné
à cent mille francs de rente. On ne lui a pas enseigné de métier... C'est
un artiste... Il compose de la musique, il écrit des vers... Enfin,
désespéré, il est tombé malade dangereusement. Une méningite... Sa
convalescence a été longue. Sans y prendre garde, je me suis attachée à
lui, à ce moment-là. Quand il fut mieux, nous avons commencé à sortir
ensemble, à passer des après-midi ensemble... Maintenant... il va tout à
fait bien... un peu de nervosité, d'irritabilité, seulement; mais l'habitude
est prise, nous ne nous quittons guère.
Elle s'interrompit. Sa pensée errait autour des souvenirs de ces
promenades à deux, Maurice assis contre sa robe, sur la banquette du
coupé, le coupé suivant au pas les allées du Bois découronnées par
l'automne ou fendant droit la foule affairée et gaie, aux abords des
boulevards. La voix de l'abbé Huguet, obscurcie par un vrai chagrin,
interrogea:
--Et alors, ma pauvre enfant, vous avez succombé?
Mme Surgère releva sur lui ses yeux innocents, élargis par la surprise.
--Succombé, mon père?
--Vous vous êtes... abandonnée... à ce jeune homme?
Elle répondit: «Oh! non!» avec un élan si violent, une défense des
mains jetées en avant si instinctive, que le prêtre pensa aussitôt: «Elle
dit vrai.» Les confesseurs, du reste, doutent rarement de la sincérité
d'un pénitent; ils savent que, seul à seul, et sûr du secret, le pécheur
aime à crier sa faute.
L'abbé prit les mains de Mme Surgère et les serra.
--Ah! mon enfant, je suis heureux de ce que vous me dites là!... Mais
alors, si vous n'avez pas succombé, si vous n'avez pas même été tentée,
ce que je crois comprendre, pourquoi ces larmes... pourquoi?...
Elle, rassérénée maintenant, pesait ses mots pour bien préciser sa
pensée.
--Mon Dieu, mon père... c'est vrai que je n'ai pas été absolument
tentée... Voyez-vous, il me semble impossible que je succombe jamais
de cette façon-là, impossible... (elle chercha une comparaison)
impossible, comme de prendre chez une de mes amies un billet de
banque oublié sur une table... comme de faire souffrir quelqu'un... tout
à fait impossible. Mais en conscience, ce que je ressens pour Maurice
me paraît mal tout de même, m'inquiète et me chagrine. Oh! dire
pourquoi, je ne saurais pas, et c'est pour cela, justement, que je
m'adresse à vous... Je souffre de ne pas distinguer mon devoir...
vraiment, je souffre.
--Vous aimez ce jeune homme? dit le prêtre.
--Est-ce l'aimer?... je ne suis pas bien habile à démêler ce qui se passe
en moi... Il y a des moments où je me dis: «Quelle folie de me
tourmenter! j'aime Maurice comme j'aimerais un fils, si j'avais eu le
bonheur d'en avoir un» (et je pourrais presque en avoir un de son
âge).--À d'autres moments, je trouve qu'il y a tout de même dans mon
affection quelque chose de... pas permis; quelque chose
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.