lAutomne dune femme | Page 4

Marcel Prévost
ce soir, place Wagram?
--Tout à fait, répondit Mme Surgère...
Elle hésita un instant, puis dit précipitamment:
--Nous avons même un nouvel hôte en ce moment, Maurice Artoy, M.
Maurice Artoy, le fils de l'ancien directeur de la Banque de Paris et de
Luxembourg.

--Celui qui s'est...?
--Oui... celui qui s'est suicidé.
--Et le pauvre jeune homme habite avec vous? fit l'abbé en marquant
l'étonnement.
--Oh! non. Il habite le pavillon du fond avec M. Esquier.
***
Toutes sortes de lueurs passèrent dans les yeux innocents de Mme
Surgère. Elle sentait rivé sur elle le regard de l'abbé, condensé pour
ainsi, dire par les lunettes. Lasse de se contraindre, son inquiétude, son
chagrin, ses remords remontèrent de son coeur à ses lèvres et à ses yeux;
sans un sanglot, elle s'appuya du coude au coin du bureau, et fondit en
pleurs. L'abbé Huguet la laissa pleurer quelques minutes. Il l'observait,
il réfléchissait. Comme il les connaissait, les pauvres âmes de ces
Parisiennes, ballottées par la houle des compromissions et des lâchetés
ambiantes, sans fond solide où ancrer leurs résistances! Il connaissait
cette âme-ci particulièrement, étant le confident en titre de ses menues
fautes, et il l'aimait parce qu'elle se reflétait vraiment dans l'innocence
et la tendresse de ces beaux yeux.
Mme Surgère ne sanglotait pas, ne remuait pas. Même son visage, que
sa main laissait à demi découvert, à la lueur de la lampe, était à peine
rougi par les pleurs.
L'abbé Huguet se leva, se pencha, et mettant sa main sur le bras de la
jeune femme:
--Qu'y a-t-il, mon enfant? Vous souffrez?
Déjà il tirait d'un tiroir un flacon de cristal rose taillé, soulevait la
capsule de vieil argent, car son métier de pasteur d'âmes féminines
l'avait depuis longtemps muni de tout l'attirail destiné à combattre, à
calmer les nerfs des femmes.

Mais Mme Surgère fit «non» de la tête; elle essuyait ses yeux et
souriait déjà.
--Merci, je vous demande pardon... J'ai si mal aux nerfs depuis
quelques jours! Il me semble, à certains moments, que j'ai un poids sur
le coeur, une sorte de boule très lourde qui l'écrase, pèse sur lui et se
soulève alternativement. Puis cela remonte à ma tête et cela se fond en
larmes, comme tout à l'heure.
L'abbé murmura du ton d'un homme qui attend:
--Vous avez raison; c'est nerveux.
Mme Surgère achevait d'essuyer ses larmes. Elle dit:
--Je voudrais justement, monsieur l'abbé, vous parler à ce sujet.
La phrase était vague; l'abbé la comprit.
--Est-ce que vous désirez que je vous entende au saint tribunal?
--Oh! non. Je veux seulement vous consulter, vous demander conseil...
Je suis très troublée en ce moment.
L'abbé vit que des larmes lui remontaient aux yeux. Il lui prit la main.
--Voyons, ma chère fille, ayez confiance... Parlez-moi... C'est le
confesseur qui vous écoute.
Et comme pour remplacer le décor absent du confessionnal, de l'église
silencieuse et sombre, de la grille qui sépare les visages, il éloigna la
lampe, modéra la flamme, appuyant un mouchoir sur sa tempe, cachant
ses yeux.
--Je vous écoute.
Elle parla, entrant dans son aveu par les voies les plus lointaines,
comme font toutes les femmes, s'attardant aux menues circonstances,
glissant sur les faits... «Vous savez, mon père, ma situation vis-à-vis de

mon mari. J'ai bien souffert autrefois à cause de lui, puis j'ai pris mon
parti de la séparation effective... Sa maladie l'a rendue toute naturelle.
Nous vivons tranquillement l'un près de l'autre, et la présence de M.
Esquier, notre ami à tous deux, amortit les chocs. Ce n'est pas,
assurément, le rêve du mariage qu'une jeune fille se forme... mais c'est
supportable...»
Le prêtre doucement l'empêcha de s'égarer.
--Oui, ma chère fille, je sais tout cela. Eh bien, y a-t-il quelque chose de
nouveau dans votre intérieur? Est-ce que M. Surgère a changé d'attitude
vis-à-vis de vous? Est-ce que...?»
Il avait soupçonné un instant l'aveu effaré d'un de ces retours offensifs
qu'ont parfois les maris vers leur femme longtemps délaissée: retours
plus redoutés de celles-ci que l'abandon et contre lesquels elles
recourent tout d'abord à leurs alliés naturels, le prêtre et le médecin.
Mme Surgère le comprit.
--Oh! non... fit-elle. Grâce à Dieu, non!... Elle chercha à reprendre ses
confidences, puis, ne trouvant plus, elle se résolut brusquement et,
rejetant sa figure dans ses mains:
--C'est, dit-elle... c'est Maurice Artoy, le jeune homme dont je vous ai
parlé... le fils de l'ancien associé de mon mari, qui habite le pavillon
maintenant...
Le prêtre pensa:
«J'avais raison d'abord, décidément.»
Et pour aider l'aveu, il dit tout haut, avec des pauses, avec cette
recherche d'expression où les prêtres excellent:
--Ce jeune homme, sans doute, vivant près de vous, a été frappé par
votre extérieur... sympathique, par votre douceur de caractère, ma chère
enfant?... Il vous a entourée, poursuivie de ses attentions...

Elle le laissait
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