lAutomne dune femme | Page 8

Marcel Prévost
elle voyait le cher ami, elle voyait Maurice. En toute chose elle se sentait faire pour lui comme un acte de tendresse, et c'��tait divin, cette possession par une id��e unique, qui pour la premi��re fois emplissait son coeur pu��ril et maternel.
Elle s'enlisait dans le souvenir des promenades communes, quand, d'un trait de fl��che, la pens��e lui revint de la promesse qu'elle avait faite tout �� l'heure. Voil�� qu'elle l'avait oubli��e, reprise �� vivre, �� aimer, pass�� le seuil des R��demptoristes.
?J'ai promis cela, j'ai promis de me s��parer de lui, de l'��loigner. Mais c'est affreux! Pauvre ch��ri, lui si nerveux, si prompt �� souffrir!... Et pourquoi le chasser, pourquoi?...?
Les raisons lui revinrent, dont Maurice usait pour vaincre ses premi��res r��sistances:
?Prouvez-moi qu'il y a quelque chose de mal dans un baiser?... Vous souffrez mes l��vres sur votre main, devant tous, devant votre mari et Claire... et vous me refusez vos l��vres... pourquoi? Toutes ces distinctions sont des chim��res...?
Qui avait raison: l'enfant raisonneur ou le vieux pr��tre aust��re?
?Il y a quelque chose de mal dans l'amour.? Malgr�� tout, ces mots lui demeuraient ��tamp��s dans le cerveau, seuls de tout le discours de l'abb��. Oui, l'abb�� avait dit juste. Une voix int��rieure, complice de cette voix s��v��re, pronon?ait le m��me arr��t.
De nouveau elle sentait sourdre des larmes, quand le coup�� s'arr��ta place de l'Op��ra. Elle essuya vivement ses yeux. La diversion de la descente, sous la pluie menue, venait �� point pour la calmer.
Dans la boutique, largement ��clair��e, beaucoup de passants s'��taient r��fugi��s, grignotant des patisseries d'Italie et d'Autriche, tremp��es de vins lombards ou siciliens. Mme Surg��re fit sa commande, choisissant lentement, dans les coupes qu'on lui tendait, les petits cercles de pate; et elle go?tait la sensation apaisante d'oublier, de rentrer dans l'existence ordinaire interrompue par sa visite �� l'abb��.
Remont��e en voiture, elle regardait les maisons, les arbres, la d��coupure du ciel rougeatre et pluvieux autour de la lourde silhouette du cocher; elle regardait cela obstin��ment, pour occuper sa pens��e avec ses yeux, baillonnant la voix qui disait: ?Tout �� l'heure, tout �� l'heure...? Eh bien, soit, tout �� l'heure! Mais d'abord, au moins, elle allait revoir l'aim��: il l'attendait, lisant le Temps, dans le petit boudoir du premier ��tage, qu'on appelait le ?salon mousse? �� cause de la nuance des tentures. Encore un tournant de rue, puis la station des voitures, puis la grande trou��e de la place Wagram, et voici la maison: les roues fr?lent l��g��rement le trottoir, le cheval s'arr��te, s'��brouant sous l'averse.
***
...C'��tait un vaste h?tel, au bord d'un jardin touffu comme un bois, ��difi�� d'hier, pour une com��dienne c��l��bre, par un directeur amoureux. L'artiste s'y ��tait install��e, les peintures �� peine s��ches, les tentures �� demi pos��es; et comme l'h?tel ��tait immense, avec des surfaces inusit��es �� d��corer, des hauteurs de fen��tres qui d��fiaient les tapissiers, elle avait achev�� sa liaison avant son installation, et un matin, tout craquant, le th��atre et l'amour �� la fois, elle ��tait partie, emportant les bijoux, laissant les meubles. Quelques semaines apr��s, les deux directeurs associ��s de la Banque de Paris et de Luxembourg achetaient la maison et le mobilier. On annon?a dans les journaux cette installation princi��re; il fallait relever aux yeux du public une Soci��t�� que le suicide r��cent de M. Artoy et sa ruine personnelle avaient discr��dit��e.
L'h?tel proprement dit, dont la fa?ade donnait sur la place, fut affect�� �� M. et �� Mme Surg��re, qui y eurent chacun son appartement s��par��. M. Surg��re, impotent, incapable de marcher, de monter un escalier, habita le rez-de-chauss��e, qui contenait encore les cuisines, l'office et le logement de Tonia, la nourrice corse de Julie, affect��e maintenant au service de la porte. Le premier ��tage comprenait les salons, la salle de billard, la salle �� manger, le boudoir mousse. L'appartement de Julie ��tait au second, avec la biblioth��que et quelques chambres inoccup��es. Un pavillon Louis XVI, maison de campagne de quelque Parisien d'autrefois, respect�� au milieu du jardin par les d��molisseurs, fut r��serv�� �� M. Esquier.
Deux portes monumentales ouvraient sur la place Wagram. Mme Surg��re sonna �� celle de droite, tandis que le cocher, virant court, criait: ?Porte!? �� celle de gauche.
Tout de suite, sous une marquise, le perron offrait des marches arrondies, jusqu'au lanterneau du vestibule, vrai vestibule de palais, avec ses quatre colonnes cannel��es, les frises des corniches et l'escalier de pierre �� double vol��e, tendu de tapisseries Renaissance.
Julie monta vite, jetant au passage, �� la femme de chambre qui l'attendait, son parapluie avec un rapide: ?Merci, Mary.?
En passant devant le salon mousse, son coeur battit si fort qu'elle s'appuya un instant au mur... Il ��tait l��, le pauvre ami; il attendait, ignorant qu'elle avait tout �� l'heure trahi leur tendresse, qu'elle revenait arm��e contre lui!... Elle se remit en marche, atteignit sa chambre. Elle y entra au moment o�� Mary la
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