Zadig | Page 4

Voltaire
long-temps malade, mais enfin la raison l'emporta sur son affliction; et l'atrocit�� de ce qu'il ��prouvait servit m��me �� le consoler.
Puisque j'ai essuy��, dit-il, un si cruel caprice d'une fille ��lev��e �� la cour, il faut que j'��pouse une citoyenne. Il choisit Azora, la plus sage et la mieux n��e de la ville; il l'��pousa, et v��cut un mois avec elle dans les douceurs de l'union la plus tendre. Seulement il remarquait en elle un peu de l��g��ret��, et beaucoup de penchant �� trouver toujours que les jeunes gens les mieux faits ��taient ceux qui avaient le plus d'esprit et de vertu.

CHAPITRE II[1].
Le nez.
[1] Le chapitre est imit�� d'un conte chinois, que Durand a r��imprim��, en 1803, sons le titre de, La Matrone chinoise, �� la suite de sa traduction de la _Satire de P��trone_, et que Du Halde avait d��j�� imprim�� dans le tome III de sa Description de la Chine. B.
Un jour Azora revint d'une promenade, tout en col��re, et fesant de grandes exclamations. Qu'avez-vous, lui dit-il, ma ch��re ��pouse? qui vous peut mettre ainsi hors de vous-m��me? H��las! dit-elle, vous seriez indign�� comme moi, si vous aviez vu le spectacle dont je viens d'��tre t��moin. J'ai ��t�� consoler la jeune veuve Cosrou, qui vient d'��lever, depuis deux jours, un tombeau �� son jeune ��poux aupr��s du ruisseau qui borde cette prairie. Elle a promis aux dieux, dans sa douleur, de demeurer aupr��s de ce tombeau tant que l'eau de ce ruisseau coulerait aupr��s. Eh bien! dit Zadig, voil�� une femme estimable qui aimait v��ritablement son mari! Ah! reprit Azora, si vous saviez �� quoi elle s'occupait quand je lui ai rendu visite! A quoi donc, belle Azora? Elle fesait d��tourner le ruisseau. Azora se r��pandit en des invectives si longues, ��clata en reproches si violents contre la jeune veuve, que ce faste de vertu ne plut pas �� Zadig.
Il avait un ami, nomm�� Cador, qui ��tait un de ces jeunes gens �� qui sa femme trouvait plus de probit�� et de m��rite qu'aux autres: il le mit dans sa confidence, et s'assura, autant qu'il le pouvait, de sa fid��lit�� par un pr��sent consid��rable. Azora ayant pass�� deux jours chez une de ses amies �� la campagne, revint le troisi��me jour �� la maison. Des domestiques en pleurs lui annonc��rent que son mari ��tait mort subitement, la nuit m��me, qu'on n'avait pas os�� lui porter cette funeste nouvelle, et qu'on venait d'ensevelir Zadig dans le tombeau de ses p��res, au bout du jardin. Elle pleura, s'arracha les cheveux, et jura de mourir. Le soir, Cador lui demanda la permission de lui parler, et ils pleur��rent tous deux. Le lendemain ils pleur��rent moins, et d?n��rent ensemble. Cador lui confia que son ami lui avait laiss�� la plus grande partie de son bien, et lui fit entendre qu'il mettrait son bonheur �� partager sa fortune avec elle. La dame pleura, se facha, s'adoucit; le souper fut plus long que le d?ner; on se parla avec plus de confiance. Azora fit l'��loge du d��funt; mais elle avoua qu'il avait des d��fauts dont Cador ��tait exempt.
Au milieu du souper, Cador se plaignit d'un mal de rate violent; la dame, inqui��te et empress��e, fit apporter toutes les essences dont elle se parfumait, pour essayer s'il n'y en avait pas quelqu'une qui f?t bonne pour le mal de rate; elle regretta beaucoup que le grand Herm��s ne f?t pas encore �� Babylone; elle daigna m��me toucher le c?t�� o�� Cador sentait de si vives douleurs. Etes-vous sujet �� cette cruelle maladie? lui dit-elle avec compassion. Elle me met quelquefois au bord du tombeau, lui r��pondit Cador, et il n'y a qu'un seul rem��de qui puisse me soulager: c'est de m'appliquer sur le c?t�� le nez d'un homme qui soit mort la veille. Voil�� un ��trange rem��de, dit Azora. Pas plus ��trange, r��pondit-il, que les sachets du sieur Arnoult[a] contre l'apoplexie. Cette raison, jointe �� l'extr��me m��rite du jeune homme, d��termina enfin la dame. Apr��s tout, dit-elle, quand mon mari passera du monde d'hier dans le monde du lendemain sur le pont Tchinavar, l'ange Asrael lui accordera-t-il moins le passage parceque son nez sera un peu moins long dans la seconde vie que dans la premi��re? Elle prit donc un rasoir; elle alla au tombeau de son ��poux, l'arrosa de ses larmes, et s'approcha pour couper le nez �� Zadig, qu'elle trouva tout ��tendu dans la tombe. Zadig se rel��ve en tenant son nez d'une main, et arr��tant le rasoir de l'autre. Madame, lui dit-il, ne criez plus tant contre la jeune Cosrou; le projet de me couper le nez vaut bien celui de d��tourner un ruisseau.
[a] Il y avait dans ce temps un Babylonien, nomm�� Arnoult, qui gu��rissait el pr��venait toutes les apoplexies, dans les gazettes, avec un sachet pendu au cou.--Cette note est
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