rien de facheux pour elle ne résulterait de cette effervescence.
Les parents de Maria, eux aussi, voyaient Chausserouge d'un bon oeil.
Depuis un an qu'ils voyageaient c?te à c?te, ils s'étaient rendus mutuellement mille petits services, sans avoir peut-être jamais échangé dix mots.
Une sympathie inavouée rapprochait ces parias du Voyage et il fallut qu'un événement grave surv?nt, pour faire éclater entre eux ces sentiments qui n'existaient qu'à l'état latent.
Un soir d'été, dans un village berrichon, comme Chausserouge venait de s'étendre sur le grabat, qui lui servait de lit, au fond de sa petite charrette, quelqu'un vint gratter à la toile qui recouvrait son primitif campement.
Les chiens n'aboyèrent pas; ce devait être une main amie. Le dompteur prêta l'oreille.
--M'sieu Chausserouge! disait une voix. M'sieu Chausserouge, je vous en prie!
Chausserouge se dressa brusquement sur son séant.
Il avait reconnu la voix de Maria.
--M'sieu Chausserouge, continua la jeune fille, c'est papa qui est près de mourir, je vous en prie, venez!
Le dompteur sauta à bas de sa charrette et une minute après, il entrait dans la caravane des ramonis.
étendu sur un matelas de varech, le père Michel ralait.
Près de lui, l'oeil sec, quoique empreint d'une souffrance indicible, la vieille bonne-ferte s'occupait à faire chauffer sur un réchaud allumé à la hate un breuvage de sa composition.
--?a l'a pris tout à l'heure, dit la jeune fille; ce soir il se sentait mal à son aise... il est allé panser Cadet... il a essayé de manger et il est tombé d'un seul coup... comme s'il était frappé d'un coup de maillet... Il respire encore, mais il ne nous reconna?t plus... Il faudrait un médecin...
--Pas de médecin! grogna la vieille. ?a ne sert à rien... qu'à tuer le monde.
--Si, m'man, je t'assure! implora la jeune fille, laisse M. Chausserouge aller chercher un médecin.
--Qu'il y aille, s'il veut; puisque ?a te fait plaisir!
--J'y vais, mam'zelle Maria! fit le dompteur, qui sortit et prit sa course à travers les rues du village.
Une demi-heure après, il était de retour.
Le docteur, qu'il était parvenu à découvrir dans ce trou perdu du Berry, se pencha sur le malade; il l'examina longuement, se fit raconter les circonstances qui avaient précédé et accompagné sa chute, puis il secoua la tête d'un air qui indiquait que tout espoir lui semblait perdu.
Le père Michel avait été frappé d'une congestion pulmonaire.
Toutefois, avant de se retirer, le médecin prescrivit quelques médicaments.
Sur le seuil de la caravane, Chausserouge l'interrogea:
--Il ne passera pas la nuit! fit le docteur.
Le dompteur lui glissa dans la main le prix de sa visite et courut de nouveau au village pour faire exécuter l'ordonnance.
Quand il revint, le malade, rappelé à la vie par le breuvage que la vieille, sans se soucier des prescriptions du médecin, était parvenue à lui administrer, avait repris connaissance.
Ses yeux étaient ouverts et fixés sur sa fille.
A la vue de Chausserouge, son regard, terne jusque-là, parut s'illuminer; ses lèvres remuèrent sans articuler une parole.
Les trois assistants s'agenouillèrent alors au chevet du mourant.
Le vieux ramoni faisait des efforts inou?s pour parler; une sueur froide perlait à ses tempes. Il parvint enfin à lever un bras, saisit la main velue du dompteur et il la posa sur celle de sa fille.
--Que veux-tu, Michel? demanda la bonne-ferte. Que notre voisin épouse Maria?...
--Vous me donnez votre fille?... articula le dompteur, la gorge serrée par l'émotion.
Michel ne répondit pas, mais ses paupières, qui battirent fébrilement, disaient oui.
--Il sera fait selon ta volonté, si Chausserouge consent, pronon?a la vieille.
--Et si mamz'elle Maria... veut bien de moi, ajouta le dompteur en implorant la jeune fille d'un regard si tendre, que celle-ci ne put s'empêcher de sourire à travers ses pleurs.
--Je consens! dit-elle, en prenant la main du meneur de loups.
Alors, le vieux ramoni pencha la tête en fermant les yeux. Tout son corps reprit une immobilité cadavérique. Soudain, deux hoquets soulevèrent sa poitrine; une paleur de cire s'épandit sur son visage.
Le père Michel était mort.
Ce fut Chausserouge qui, le surlendemain, conduisit le deuil du ramoni.
Maria avait demandé qu'un prêtre accompagnat son père jusqu'à sa dernière demeure.
Le Voyage tout entier, à quelques exceptions près, fit cortège au cercueil.
Les rancunes semblaient s'être éteintes devant la mort et peut-être aussi, les forains, peu curieux d'initier les populations à leurs dissensions intimes, avaient-ils tenu à donner un gage public de leur bonne entente.
Lorsque Chausserouge et Maria furent de retour du cimetière, ils trouvèrent la bonne-ferte accroupie dans un coin de la caravane, l'oeil fixé sur ses tarots étalés.
Bien qu'elle ressentit une douleur réelle de la perte de son mari, sa croyance en la fatalité lui avait fait rapidement reprendre le dessus.
--Les cartes annon?aient une mort, dit-elle, et je n'avais rien vu.
--Et les cartes annon?aient-elles aussi... un mariage? demanda timidement le dompteur.
--Oui, répliqua la vieille. Il faut que tout s'accomplisse ici-bas. Il n'y a rien à faire contre la destinée. Tu te marieras, mon gar?on!
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