Zézette : moeurs foraines | Page 8

Oscar Méténier
D'ailleurs, il y a longtemps que tu aimes ma fille, ajouta-t-elle. A l'heure dernière, le regard des mourants est devin...
--Mais vous, mamz'elle Maria, m'aimez-vous aussi?
--Aurais-je été vous chercher si je ne vous avais pas mieux considéré que tous les autres forains du Voyage? répliqua la jeune fille.
--Il n'est pas bon que des femmes soient seules dans la vie... pronon?a la bonne-ferte. Tu es plus digne que tous les autres d'entrer dans la grande famille des ramonis... C'est pourquoi le père, qui voyait loin... t'a choisi! Sa volonté sera faite.
Le lendemain, Chausserouge fit publier les bans et les forains comprirent pourquoi ils avaient vu le dompteur conduire le deuil du vieux ramoni.
Toutefois, de ce jour la fusion fut complète entre les deux campements.
La jeune fille apportait en dot une caravane, un vieux cheval et cinquante écus enfouis au fond d'un vieux bas.
Le dompteur apportait de son c?té son pécule qui se montait à trois mille francs environ et ses animaux.
La première partie de son rêve était accomplie. Il allait maintenant pouvoir marcher de pair avec les forains qui l'avaient si fort méprisé jusque-là.
Pour permettre à la noce de se faire dans ce pays berrichon dont il garderait désormais un éternel souvenir, il retarda son départ et utilisa le temps que lui laissaient les délais légaux, à apporter à son nouvel établissement d'utiles améliorations.
Il avait acheté avant le départ de ses confrères une caravane spacieuse et presque neuve à un forain qui se retirait des affaires. Il se complut à l'embellir pour la rendre digne de sa compagne, dont ce serait désormais le séjour habituel, maintenant qu'elle allait rester vouée aux soins uniques du ménage.
La vieille caravane de Michel, complètement mise à neuf, fut affectée au transport des animaux.
Et une fois le mariage accompli, ce fut plein d'orgueil et le coeur rempli d'espoir que, debout, à l'avant de sa maison roulante attelée d'un vigoureux cheval, il prit le chemin qui devait lui faire rejoindre le Voyage.
A présent, il ne doutait plus, il avait foi en son étoile. Il avait tout oublié, les déboires et les douleurs passées.
Son désir le plus cher, le ciel l'avait pour ainsi dire miraculeusement réalisé, car comment expliquer autrement le geste suprême de ce mourant, à qui il ne s'était jamais ouvert de ses sentiments, mettant dans sa main caleuse la petite main halée de Maria?
Par quelle divination, par quelle double vue le vieux ramoni avait-il lu au plus profond de son coeur?
Il était s?r à présent de faire fortune.
Après trois jours de marche, il atteignit Bourges où le Voyage était installé.
Quand il débarqua sur la place Seraucourt, les forains firent le cercle autour de la belle caravane verte sur laquelle on lisait, peintes en lettres jaunes d'un pied de haut, l'inscription suivante:
GRANDE MéNAGERIE CHAUSSEROUGE
Après un moment de stupéfaction, les principaux d'entre eux s'approchèrent et serrèrent la main du dompteur un peu ébahi.
Une fois de plus, le proverbe avait raison: On pardonne tout aux riches.
La fortune venait de réhabiliter Chausserouge, de lui donner droit de cité.
Le soir même, sous une tente neuve, il donnait sa première représentation.

III
Une ère de prospérité et de bonheur s'ouvrit pour Chausserouge. Maria était en effet la femme forte, accoutumée aux privations, aux misères et aux fatigues du Voyage qu'il s'était figuré; la vieille mère, qui bien à contre-coeur et sur la prière du dompteur, avait renoncé à son métier de bonne-ferte, l'aidait dans les soins du ménage.
Elle avait pris go?t à la profession de son gendre et elle s'était instituée l'infirmière des animaux malades.
Aidée par sa grande connaissance des simples, possédant les recettes traditionnelles de ceux de sa race, elle acquit bient?t sur tout le Voyage une réputation de guérisseuse telle qu'on venait la chercher des ménageries voisines dès qu'une bête ne mangeait plus ou donnait des signes de maladie.
Son concours fut à Chausserouge d'une utilité d'autant plus grande qu'il ne perdait jamais une occasion d'augmenter sa collection.
Quelques campagnes heureuses lui avaient permis de reconstituer à peu près son capital; il en profita pour acheter une lionne, puis deux hyènes, puis une panthère.
La lionne mit bas, et deux lionceaux, qu'il fit élever par une chienne Terre-Neuve, furent la souche de toute une génération.
Sans demander plus de conseils aux spécialistes du métier qu'il ne l'avait fait jadis pour les loups et les ours, Chausserouge se livra à l'éducation de ces nouveaux pensionnaires, dont il ne connaissait ni les habitudes, ni le caractère, avec la même insouciance et la même énergie qu'autrefois.
Un succès pareil couronna son effort.
Bref, il e?t été complètement heureux s'il f?t né un enfant de son union avec Maria.
Un enfant dont il aurait fait un monsieur, que, selon son expression, il aurait mis dans la ?diplomatie?, c'est-à-dire à qui il e?t donné une profession libérale, celle de médecin ou d'avocat, par exemple.
Un enfant dont il p?t, dans ses vieux jours, être fier
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