Philéas! Bonjour, Philéas!
PHILéAS, descendant de voiture.--Bonjour, Monsieur Paul; bonjour, Monsieur le Vicomte; bonjour, Madame!
Et il saluait à droite et à gauche, tout en continuant ses bonjours à chacun.
Petits et grands firent à Saindoux l'accueil le plus amical, malgré leur étonnement de cette visite subite. On offrit à Saindoux des rafra?chissements qu'il accepta et l'on s'installa au bosquet pour que Philéas p?t y bavarder à son aise.
PHILéAS.--Vous devez être surpris, Messieurs et Dames, de mon arrivée étonnante pour ne pas dire inattendue. Je suis rappelé au pays, ces jours-ci, afin d'installer quelqu'un à Castel-Saindoux pour s'occuper de mon établissement pendant mon absence. Je viens d'arrêter une femme d'affaires.
Tout le monde se regarda avec stupéfaction, croyant avoir mal entendu. M. de Marsy, revenu le premier de sa surprise, s'écria:
--Un homme d'affaires, voulez-vous dire, Philéas?
PHILéAS, avec aplomb.--Non, non, Monsieur le Vicomte; j'ai bien dit et je répète, ?une femme d'affaires?. C'est moins cher qu'un homme, aussi regardant et plus profitant, par conséquent.
Un rire étouffé répondit à Saindoux, qui continua en se frottant les mains:
--Je me dispose à installer Gelsomina dans ce poste important. Elle est, économe et surveillera ma propriété. Mais pour parler d'autre chose, je viens inviter la compagnie (que je m'honore de fréquenter) à une fête organisée par moi. J'ai rapporté de Paris un feu d'artifice magnifique de 150 francs 75 centimes. Je le ferai tirer demain soir à Castel-Saindoux, avec accompagnement de repas, jeux, orchestre choisi et danses variées. J'ai convié tout le pays à ces réjouissances. Je serais heureux et fier d'y voir aussi ces Messieurs et ces Dames!
Les exclamations de joie des enfants répondirent à Philéas. Les parents remercièrent le bon gros Saindoux, qui paraissait radieux.
Philéas alla préparer ?ses réjouissances publiques ? à Castel-Saindoux, et les enfants ravis attendirent avec impatience le moment d'aller admirer les prodigalités du fastueux Philéas.
[Illustration 14.png]
Le lendemain tant désiré arriva enfin. Dès quatre heures du soir, les enfants assuraient que la nuit était venue et qu'il était temps de partir; mais les parents ne voulant pas, avec raison, arriver trop t?t et fatiguer inutilement les petits, ne consentirent pas au départ avant le d?ner.
Arrivés à Castel-Saindoux, Paul et ses soeurs furent dans le ravissement.
Sur la pelouse était une grande table chargée de viandes, de patisseries, de cidre en bouteilles et même de Champagne; de vrai Champagne, cette fois![3] Philéas, entouré de ses musiciens et de nombreux amis, faisait honneur au repas, tandis que les gamins du village préparaient le feu d'artifice pour le soir. Un violon faisait danser les jeunes gens et de temps en temps des pétards et des coups de fusil complétaient les splendeurs de la fête.
[Note 3: Voir _Les Débuts du gros Philéas_.]
Quand Philéas vit arriver M. et Mme de Marsy et leurs enfants, il se précipita au-devant d'eux, en culbutant tous les convives.
--Soyez les bienvenus, Mesdames et Messieurs, s'écria-t-il; ne voudriez-vous pas accepter quelque chose?
M. DE MARSY.--Merci, Philéas, nous venons de d?ner.
PHILéAS, insistant.--Un verre de n'importe quoi, Monsieur le Vicomte; tenez, choisissez entre du _Pomone_, du Saturne et du Balzac.
M. DE MARSY, _étonné_.--Oh! oh! quels sont ces vins-là? Je n'en avais jamais entendu parler!
PHILéAS, avec empressement.--Voilà les bouteilles, Monsieur le Vicomte. Go?tez-en, vous m'en direz des nouvelles!
Et il mit devant M. de Marsy trois flacons étiquetés ?Pomard, Sauterne, Barsac?.
M. de Marsy refusa en souriant de faire honneur aux vins inventés par Saindoux, qui s'écria, pour se consoler:
--Allons, puisque voici ces Dames et ces Messieurs arrivés, nous allons commencer le jeu du cochon et le feu d'artifice. Finissez donc de manger et de boire, vous autres! Voilà assez longtemps que vous y êtes, d'ailleurs. A vos instruments, la musique, et jouez-nous des morceaux soignés!
Les musiciens obéirent tant bien que mal. La grosse caisse se dirigea en trébuchant vers son siège. La fl?te alla en zig-zag vers le sien et chacun des autres exécutants parvint à s'installer, après plus ou moins d'efforts pour retrouver des jambes et des idées.
Quand il fut réuni, l'orchestre partit alors comme un furieux, chacun jouant à tort et à travers. La grosse caisse et la fl?te surtout ne prenaient pas le temps de respirer. L'un, tapant sur sa caisse avec une vitesse et une vigueur toujours croissantes, l'autre jouant de plus en plus faux des variations de plus en plus criardes.
Sans s'inquiéter de ce tapage assourdissant, Philéas donna le signal pour commencer le jeu du cochon[4], et l'on vit arriver une troupe de gamins en cale?on, amenant de force un petit cochon noir et jaune. Ils le poussèrent dans une mare près de la maison. A peine ce cochon fut-il à l'eau que les petits paysans se précipitèrent aussi dans la mare et chacun d'eux, tout en nageant, s'effor?a de saisir la queue de l'animal.
[Note 4: Jeu très aimé eu Normandie.]
Pour être vainqueur dans ce jeu, on devait maintenir le cochon pendant une minute sans le
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