seul, ne voulant nullement emmener de compagnon de chasse.
Furieux, j'enfonce mon chapeau sur ma tête et je cours comme un fou à mon fiacre, en ordonnant au cocher de me conduire à l'adresse que m'avait donnée le prétendu Jules Gérard, _h?tel du Paon magnifique_, rue des _Mauvais-Gar?ons_. Là, je trouve un excellent jeune homme, aux cheveux rouge carotte, qui me re?oit à bras ouverts et qui s'écrie:
--Enfin! vous voilà, mon brave Saindoux; avec quelle impatience je vous attendais! je vous reconnais, rien qu'à votre noble et martiale tournure. Venez vite d?ner, mon cher.
Je lui réponds avec dignité:
--Monsieur, nous avons un compte à régler auparavant! Je viens de chez le vrai Jules Gérard qui m'a ri au nez, en me déclarant qu'il ne m'avait jamais écrit pour m'engager à l'accompagner dans ses voyages. Vous êtes un faux Gérard, vous, alors? Pourquoi me tromper?...
Le jeune homme rit très fort (j'étais furieux de ?a), puis il me dit en joignant les mains:
--Est-il possible, mon pauvre Saindoux, que vous ne connaissiez pas encore le nom célèbre de _Polyphème Gérard?_ Malgré ma modestie bien connue, je ne puis m'empêcher de vous dire que je me suis illustré dans les cinq parties du monde. Jules Gérard n'est rien à c?té de moi! Il tue des lions? Qu'est-ce que c'est que ?a? pouh!... j'en tue aussi, mais seulement pour m'amuser et me distraire, moi, le Tueur par excellence!
Le jeune homme rouge parlait avec tant de solennité que j'en étais tout saisi et que je dis timidement:
--Qu'est-ce que vous tuez donc, Monsieur Polyphème, de si terrible et dangereux?
--Je suis _le Tueur de colibris féroces_, qu'il répond avec majesté. Ces animaux horribles ravagent l'Afrique et l'Amérique. Rien n'est à l'abri de leurs becs formidables et de leurs serres terribles! Ces énormes oiseaux ont six mètres de hauteur; leur bec est long comme mon bras, et déchire un lion d'un seul coup! Moi seul ai le courage de chasser et de détruire ces redoutables colibris! Vous jugez, Saindoux, de la reconnaissance et de l'admiration qu'ont pour moi des populations tout entières?
Ces paroles si modestes m'apprenaient les hauts faits du héros qui daignait m'admettre dans sa société intime; elles me transportèrent d'admiration et de joie.
--Homme illustre! m'écriai-je en me jetant dans ses bras, je suis confus d'avoir douté de vous un seul instant! Je suis à vous, à la vie et à la mort!
Celui que je me plais à appeler ?mon ami le Tueur de colibris féroces? éclata de rire. (Il est gai comme un pinson, ce grand homme; il ne peut jamais me regarder sans rire, ?a me fait plaisir.)
--Allons d?ner, dit-il; nous parlerons de notre voyage et de nos préparatifs... mais que diantre faites-vous de cette cage sur votre dos?
--?a, répliquai-je, c'est le fifi-mimi, notre compagnon d'aventures.
Je lui racontai alors comment le testament de ma cousine m'ordonnait de ne jamais m'en séparer.
Polyphème se pama de rire et daigna se charger de la cage, puis nous allames d?ner. Il me recommanda de ne pas parler de ses ?colibris féroces? aux autres: d'abord parce que sa modestie en souffrirait trop, et puis parce qu'il voulait se soustraire aux ovations de la foule, idolatre de lui. Je le lui promis avec respect, car je ne crains rien tant que de déplaire à mon ami le grand homme!
Adieu, mon cher Monsieur le Vicomte; j'aurais bien d'autres choses à vous raconter, mais le temps me manque et je finis en présentant mes très profonds, humbles, dévoués et enthousiastes hommages à Madame votre épouse, ainsi qu'à vos charmantes jeunes demoiselles. Je vous prie de me rappeler au bon, aimable, affectueux, cordial et gracieux souvenir de Monsieur votre jeune fils. A vous, Monsieur, bon et cher Vicomte, j'offre le dévouement extraordinaire, illimité, de celui qui croit pouvoir dire, sans exagération, qu'il sera pour la vie.
Philéas Saindoux.
P. S. Je vous confirme avec joie que les ours gris sont doux, gentils et même timides; que les orangs sont petits, caressants et complètement inoffensifs. Je vous dirai, de plus, que les serpents boas sont moins gros que nos couleuvres et voient seulement la nuit, le jour ils dorment comme les marmottes. J'ai vu au Jardin des Plantes des échantillons de toutes ces pauvres petites bêtes, grace à l'illustre Polyphème, qui me mène partout et m'explique tout avec une bonté admirable.
CHAPITRE IV
UNE VISITE DE PHILéAS
Une après-midi les enfants jouaient sur la pelouse lorsque Fran?oise, s'arrêtant tout à coup, s'écria: ?Qui vient donc nous voir??
JEANNE.--Tu vois venir une visite?
PAUL, _déclamant_.--Anne, ma soeur Anne, je ne vois que le soleil qui poudroie et l'herbe qui...
FRAN?OISE, _lui prenant la tête dans ses mains_.--Tiens! regarde, gros bêtat, au lieu de te moquer de moi.
Paul allait se facher du geste et des paroles de sa soeur quand la vue d'une voiture et de celui qui la conduisait lui fit pousser un cri de surprise.
PAUL.--Philéas! c'est
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