Voyages abracadabrants du gros Philéas | Page 9

Olga de Pitray
lacher; on en devenait alors propriétaire.
Les gamins riaient de toutes leurs forces tout en pataugeant près de l'animal, qui grognait d'une fa?on désespérée chaque fois qu'on le touchait.
Il était d'autant plus difficile de l'attraper que sa queue, déjà courte et glissante, avait été soigneusement graissée.
Les rires des spectateurs répondaient à ceux des _combattants_, et les enfants radieux de ce spectacle disaient qu'ils ne s'étaient jamais tant amusés.
--Ohé! criait un gamin, attrape la queue, Médéric, l'eau commence à la détremper; elle a manqué me rester dans la main!
--Viens, mon petit chéri, disait un autre nageur, en montrant une pomme au cochon; je vais faire ton affaire pendant que tu mangeras.
--Je l'ai!
--Non, c'est moi!
--Ah! la voilà!
--Ouiche! comptes-y, à cette heure!
--Bravo, le cochon! criaient les spectateurs enchantés.
Un des lutteurs, souriant d'un air malicieux, se glissa enfin derrière l'animal et, profitant d'un instant où la pauvre bête fatiguée ne nageait pas, l'adroit petit Léon tourna trois fois son doigt autour de la queue et ferma brusquement la main en serrant ces bagues d'un nouveau genre.
Le cochon eut beau se débattre, le vainqueur resta ferme et le maintint vigoureusement pendant la minute voulue.
La lutte était terminée; on fit sortir les combattants de la mare et tandis que les gamins, rentrés à la maison, se rhabillaient à la hate, le cochon tenu en laisse par des rubans de toutes couleurs fut emmené chez Léon, heureux et fier de son triomphe.
L'orchestre redoubla de vigueur pour solenniser ce moment!
Philéas rayonnait de tout ce tapage; les enfants n'y faisaient pas attention, le feu d'artifice commen?ant alors et les intéressant beaucoup. Les parents riaient tout bas de la musique et tachaient de préserver leurs oreilles du vacarme.
[Illustration 15.png]
Quand le bouquet eut été tiré, lorsque les derniers feux de Bengale se furent éteints, les enfants et leurs parents entrèrent chez Philéas pour y attendre leur voiture.
Philéas congédia ses autres invités, mais il ne put parvenir à faire entendre raison à son orchestre; les musiciens, avec la ténacité des ivrognes, soutenaient que la fête n'était pas finie et, malgré les protestations de Philéas ahuri, ils commencèrent un morceau plus burlesque que les autres.
Philéas, désespérant de les faire partir, se sauva, rejoignant M. de Marsy qui riait aux larmes, avec sa famille, de cette discussion comique.
... Mais au milieu du morceau, la grosse caisse s'arrêta.
POUSSARD.--Ah! ma foi! je suis fatigué de tout ce tapage-là! Je file; bonsoir, la compagnie.
Et en disant cela, il se dirigea vers le bois.
PHILéAS, _de sa fenêtre_.--Pas par là, pas par là! vous allez vous égarer dans la forêt, si vous prenez ce chemin-là, Poussard!
--Pas de danger, M'sieu... heu! m'sieu Saindoux! ?a me conna?t, les bois. Je m'en tirerai très bien, vous... vous verrez. (Il dispara?t.)
La fl?te avait écouté cette conversation d'un air pensif.
--Je fais comme Poussard, se mit à dire Crapotin. J'ai assez de musique, à cette heure!
Et il se dirigea aussi vers le bois, mais du c?té opposé à celui que Poussard avait pris.
PHILéAS.--Allons, bon! encore un qui perd la boule! Ohé! Crapotin, vous vous en allez du mauvais c?té. Vous aurez du désagrément d'aller par là!
CRAPOTIN.--Mon cher Saindoux... (Il trébuche.)
[Illustration 16.png]
Je sais ce que je fais... (Il se cogne la tête à un arbre.) N'humiliez pas un honnête homme! (Il s'éloigne dans le bois.) Personne ne pourra jamais prouver... (dans le lointain) que je ne suis pas un honnête homme!... (Il dispara?t.)
Les rires des spectateurs répondirent à cette déclaration solennelle. Le reste des musiciens se débanda; les uns consentirent à prendre le bon chemin, celui de la grande route, pour retourner chez eux; les autres s'établirent dans des fossés, protestant qu'ils étaient arrivés à leur logis et qu'ils n'en bougeraient pas pour un empire.
Pendant ce temps, on entendait dans les bois une note lointaine de la fl?te égarée; un coup formidable de la grosse caisse, qui errait non loin de là, répondait immédiatement à cette tentative musicale. Saindoux, resté seul, s'écriait alors, moitié riant moitié faché:
--Allons bon! voilà mon orchestre qui fait des siennes!
M. et Mme de Marsy venaient de partir avec leurs enfants; mais ces notes lointaines semblaient à tous si comiques, que pendant quelque temps on fit aller les chevaux au pas pour entendre ce concert improvisé.
A force de marcher au hasard dans la forêt, la grosse caisse et la fl?te se rejoignirent: le premier s'assit alors sur un tronc d'arbre, le second dans une rigole heureusement à sec et le dialogue suivant s'engagea, entremêlé de coups de grosse caisse et de notes aigu?s lancées capricieusement par la fl?te.
LA GROSSE CAISSE.--Es-tu... boum!... boum!... mon ami?
LA FLUTE.--Je suis... ton ami, tu!... tu!...
LA GROSSE CAISSE.--Nous sommes dans un endroit... boum!... dangereux! Je crains que l'eau ne nous gagne... (La lune sort d'un nuage et commence à éclairer le gazon où se trouvent nos ivrognes.)
LA FLUTE.--Comment... tu!... comment ?a?
LA GROSSE CAISSE.--Je vas monter sur... mon tronc d'arbre
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