le répète, à votre place je me méfierais.
JEANNE.--Et quelles bêtes allez-vous chasser, Philéas?
PHILéAS.--En Europe, les chamois, les aigles et tout ce que nous trouverons. En Afrique, le lion...
M. DE MARSY.--Diantre! comme vous y allez, mon brave!
PHILéAS, avec orgueil.--Ce n'est pas tout! le boa, l'éléphant, la panthère, le rhinocéros, les anthropophages et les orangs-outangs!...
M. DE MARSY.--Mais, malheureux! vous serez en morceaux à votre première chasse! Vous voulez affronter ces bêtes terribles, ces hommes féroces et surtout ces orangs, redoutés de tout le monde.
PHILéAS, _se récriant_.--Oh! les orangs, c'est pour nous amuser que nous les chasserons, Monsieur le Vicomte; Gérard m'a écrit que c'étaient de charmants petits singes, très doux, très familiers et que c'est apprivoisé en un clin d'oeil. J'en rapporterai un à ces demoiselles.
JEANNE, avec frayeur.--Merci bien, par exemple! d'horribles et méchants singes, grands deux fois comme vous!
PAUL.--... Et qui tuent les lions à coups de batons, et même à coups du poings!
PHILéAS.--Mais non, mais non! je vous assure que c'est des bêtises, tout ?a; je vous dis que Gérard en a vu!
M. DE MARSY, _impatienté_.--Eh! il se moque de vous, je vous le répète!
PHILéAS, avec assurance.--Il n'oserait pas s'y frotter. Allez, Monsieur le Vicomte, quand vous me verrez revenir avec ces charmants petits animaux, vous serez enchanté! du reste... (avec solennité) je demanderai à monsieur le vicomte la permission de lui écrire et de lui faire conna?tre mes impressions de voyage.
M. DE MARSY, souriant.--Volontiers, mon ami; mais croyez-moi, ne vous fiez pas aux petits orangs.
PAUL, _avec curiosité_.--Et dans les autres pays, que chasserez-vous, Philéas?
PHILéAS.--En Amérique, des pumas (lions sans crinière), des buffalos, des jaguars et de gentils petits ours gris.
M. DE MARSY, _haussant les épaules_.--Allons, bien! ils sont ?petits? et ?gentils? maintenant, les ours gris! Est-ce encore Gérard qui vous a persuadé cela, Saindoux?
PHILéAS.--Mais certainement, Monsieur le Vicomte; il para?t que ce sont de charmants petits oursons; ?a fait même de la peine à tuer, tant ils sont caressants.
M. DE MARSY.--Je ne vous conseille pas de vous y frotter, à ces _oursons charmants!_ vous m'en diriez des nouvelles.
PHILéAS, continuant.--En Océanie, nous chasserons... Je ne me rappelle plus quoi! et en Asie, nous nous attaquerons aux tigres et aux Taugs[2].
[Note 2: étrangleurs indiens.]
M. DE MARSY, _fron?ant les sourcils_.--Encore une terrible chasse que celle de ces Taugs! Ils valent les orangs-outangs, dans leur genre. Décidément, Philéas, ces voyages seraient une suite de folies. Je vous donne très sérieusement le conseil de ne pas vous exposer à cette série de dangers, que les chasseurs les plus braves affrontent sans les rechercher. (Insistant.) Songez que votre santé ne pourra peut-être pas supporter le climat des pays chauds, les froids horribles de l'Amérique du Nord! songez enfin que vous partez avec...
PHILéAS.--J'ai songé à tout, Monsieur le Vicomte (avec dignité), et à bien d'autres choses encore! (Rires étouffés.) La soif des voyages, des dangers, des aventures m'empêche de jouir de la vie! Je pars heureux. Une seule chose m'ennuie; c'est le satané bouvreuil de ma cousine. Il va falloir que je le trimballe dans les déserts, dans les savanes, et toujours sur mon dos; ?a ne sera pas commode.
Mme DE MARSY, _étonnée_.--Comment! vous ne pouvez pas le confier à quelqu'un ici, pendant vos voyages?
PAUL, malignement.--A Gelsomina, par exemple! elle serait enchantée de vous rendre ce petit service.
PHILéAS, avec horreur.--Oh!... non! le testament de ma cousine dit que je ne dois pas me séparer de _fifi-mimi_, que je dois le soigner tous les jours. (Il étend le bras.) J'ai promis de le faire. Un honnête homme n'a que sa parole, j'emmène partout le fifi-mimi!
Après cette déclaration solennelle, le gros Saindoux prit congé de M. de Marsy et de sa famille malgré les représentations amicales de chacun.
Nous allons voir bient?t ce qui lui arriva. Espérons qu'il reviendra chargé de lauriers, de gentils ours gris et de petits orangs.
CHAPITRE III
UNE LETTRE DE PHILéAS
Quelque temps après le départ de Philéas, Paul apporta un matin à son père les lettres que le facteur venait de lui donner. M. de Marsy parcourut les adresses; l'une d'elles attira son attention.
M. DE MARSY.--Oh! oh! qu'est-ce que cette adresse si compliquée? A Monsieur, Monsieur le Vicomte de Marsy, en son chateau. En cas d'absence, à Madame de Marsy; en cas d'absence, à Mademoiselle Jeanne; en cas d'absence, à Monsieur Paul; en cas d'absence, à Mademoiselle Fran?oise; _Personnelle, pressée, importante, confidentielle, officielle_. (Riant.) Diantre! il y a du Philéas dans ce luxe de rédaction! Appelle donc ta mère et tes soeurs, mon bon Paul; cela les intéressera d'entendre la lecture de cette lettre.
PAUL.--Tout de suite, papa. Certainement, ?a va nous amuser.
Mme de Marsy et les enfants se hatèrent de venir en apprenant ce dont il s'agissait.
M. de Marsy déploya solennellement l'énorme lettre de Philéas.
M. DE MARSY.--Peste! une, deux, trois, quatre feuilles doubles! c'est un vrai journal que cette missive.
[Illustration 10.png]
PAUL, se frottant les mains.--Nous allons
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