Voyages abracadabrants du gros Philéas | Page 7

Olga de Pitray

chez Jules Gérard.
[Illustration 13.png]
--Tiens! vous avez de la chance, qu'il remarque; je viens justement de
le ramener chez lui; sans ça, j'ignorais parfaitement son adresse et il
vous aurait fallu la demander au Ministère de la guerre.
Il me semble que tout le monde devrait connaître l'hôtel de ce grand
homme! que je me dis en moi-même.
Nous arrivons; on m'introduit chez un grand bel homme, à barbe noire
comme du charbon.
Je me précipite dans ses bras en criant:
--Ah! mon cher tueur de lions! voilà votre Saindoux prêt à partager vos
dangers et vos voyages.

Le bel homme fronce ses sourcils d'un air menaçant et me repousse en
disant:
--Qu'est-ce que ça veut dire? Qu'est-ce que vous voulez?
--Vous êtes Jules Gérard, pas vrai? que je demande, interloqué de cet
accueil pas gracieux du tout.
--Oui; après?
--Moi, je suis Saindoux!
--Qu'est-ce que ça me fait?
--Vous ne comprenez donc pas? Moi, Saindoux, Philéas Saindoux; moi,
votre ami, j'ai accepté votre offre d'amitié, de voyage en commun... et
me voilà...
Je lui explique alors que ses lettres m'ont décidé à voyager avec lui.
Le monsieur se met à rire.
--Mon pauvre garçon, dit-il, vous êtes la dupe d'un farceur; je retourne
en Algérie ces jours-ci, c'est vrai; mais je compte y aller seul, ne
voulant nullement emmener de compagnon de chasse.
Furieux, j'enfonce mon chapeau sur ma tête et je cours comme un fou à
mon fiacre, en ordonnant au cocher de me conduire à l'adresse que
m'avait donnée le prétendu Jules Gérard, _hôtel du Paon magnifique_,
rue des _Mauvais-Garçons_. Là, je trouve un excellent jeune homme,
aux cheveux rouge carotte, qui me reçoit à bras ouverts et qui s'écrie:
--Enfin! vous voilà, mon brave Saindoux; avec quelle impatience je
vous attendais! je vous reconnais, rien qu'à votre noble et martiale
tournure. Venez vite dîner, mon cher.
Je lui réponds avec dignité:
--Monsieur, nous avons un compte à régler auparavant! Je viens de
chez le vrai Jules Gérard qui m'a ri au nez, en me déclarant qu'il ne
m'avait jamais écrit pour m'engager à l'accompagner dans ses voyages.
Vous êtes un faux Gérard, vous, alors? Pourquoi me tromper?...
Le jeune homme rit très fort (j'étais furieux de ça), puis il me dit en
joignant les mains:
--Est-il possible, mon pauvre Saindoux, que vous ne connaissiez pas
encore le nom célèbre de _Polyphème Gérard?_ Malgré ma modestie
bien connue, je ne puis m'empêcher de vous dire que je me suis illustré
dans les cinq parties du monde. Jules Gérard n'est rien à côté de moi! Il
tue des lions? Qu'est-ce que c'est que ça? pouh!... j'en tue aussi, mais
seulement pour m'amuser et me distraire, moi, le Tueur par excellence!

Le jeune homme rouge parlait avec tant de solennité que j'en étais tout
saisi et que je dis timidement:
--Qu'est-ce que vous tuez donc, Monsieur Polyphème, de si terrible et
dangereux?
--Je suis _le Tueur de colibris féroces_, qu'il répond avec majesté. Ces
animaux horribles ravagent l'Afrique et l'Amérique. Rien n'est à l'abri
de leurs becs formidables et de leurs serres terribles! Ces énormes
oiseaux ont six mètres de hauteur; leur bec est long comme mon bras,
et déchire un lion d'un seul coup! Moi seul ai le courage de chasser et
de détruire ces redoutables colibris! Vous jugez, Saindoux, de la
reconnaissance et de l'admiration qu'ont pour moi des populations tout
entières?
Ces paroles si modestes m'apprenaient les hauts faits du héros qui
daignait m'admettre dans sa société intime; elles me transportèrent
d'admiration et de joie.
--Homme illustre! m'écriai-je en me jetant dans ses bras, je suis confus
d'avoir douté de vous un seul instant! Je suis à vous, à la vie et à la
mort!
Celui que je me plais à appeler «mon ami le Tueur de colibris féroces»
éclata de rire. (Il est gai comme un pinson, ce grand homme; il ne peut
jamais me regarder sans rire, ça me fait plaisir.)
--Allons dîner, dit-il; nous parlerons de notre voyage et de nos
préparatifs... mais que diantre faites-vous de cette cage sur votre dos?
--Ça, répliquai-je, c'est le fifi-mimi, notre compagnon d'aventures.
Je lui racontai alors comment le testament de ma cousine m'ordonnait
de ne jamais m'en séparer.
Polyphème se pâma de rire et daigna se charger de la cage, puis nous
allâmes dîner. Il me recommanda de ne pas parler de ses «colibris
féroces» aux autres: d'abord parce que sa modestie en souffrirait trop, et
puis parce qu'il voulait se soustraire aux ovations de la foule, idolâtre
de lui. Je le lui promis avec respect, car je ne crains rien tant que de
déplaire à mon ami le grand homme!
Adieu, mon cher Monsieur le Vicomte; j'aurais bien d'autres choses à
vous raconter, mais le temps me manque et je finis en présentant mes
très
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