Voyage dun Habitant de la Lune à Paris à la fin du XVIIIe Siecle | Page 7

Pierre Gallet
du Latium: ?Voilà où ont amenée l'ambition et l'amour de la guerre! Les Grecs et les Romains éclipsèrent toutes les nations de ce globe; ces derniers les tinrent presque toutes sous leur joug; ils crurent éterniser leur empire.... Césars, que ne pouvez-vous repara?tre! Quelle ne serait pas votre honte, en voyant les effets de votre faux systême!? L'avilissement et l'impuissance qui na?t de lui; semblent avoir anéanti à jamais, en ces lieux, le germe de toute grandeur....
Il cessa ses réflexions; et, tournant le télescope vers la partie septentrionale de l'Europe, il apper?oit de nombreuses armées couvrant son territoire, et s'étendant au dehors. Il entrevoit par-tout les signes de son industrie. Jettant un coup-d'oeil sur les divers états, il pensa que c'étaitent les nations qu'il découvrait, qu'il devait conna?tre. ?Ce petit coin de la terre, dit-il, me paroit aujourd'hui le seul peuplé, et le seul redoutable. Observant quel est de ces états le plus transcendant, il juge que c'est la France; et, appercevant sa capitale, il se décide à descendre en son sein, après avoir souri en envisageant la position où elle se trouve,[1] et en voyant le ruisseau qui la traverse qu'il distinguait aussi aisément que s'il l'e?t observé du haut du Pont-Neuf.... Enfin il ordonne à ses éléphans de s'abaisser vers la France qu'il leur montre. Il quitte sa position tranquille, après avoir renfermé son télescope, et descend rapidement sur ce pays.
Il entre bient?t dans l'horison de la terre, où il est prêt à suffoquer, trouvant l'air plus dense, plus méphitique que dans celui de l'horison de la Lune, comme cela lui était arrivé dans son premier voyage. Cependant il en est quitte pour trois ou quatre éclats de toux, ainsi que ses éléphans. Enfin il découvre Paris avec sa vue, et il ordonne à ses éléphans de ne pas descendre sur la Cité: il craint de porter l'épouvante dans les esprits, et qu'on ne le prenne pour un démon malfaisant; ayant eu occasion autrefois de juger, combien les habitans de la terre sont enclins aux préjugés, aux superstitions, et à voir des choses surnaturelles dans les événemens les plus simples et les plus ordinaires.... Ce n'est pas une crainte personnelle qui le dirige en agissant ainsi: Alphonaponor est sage; et le sage ne redoute rien que la honte de lui-même et le cri de sa conscience.... Les éléphans qui devinent ses motifs, se hatent d'exécuter son voeu.
Pendant qu'ils traversaient ce court espace, il pensa comment il se conduirait si les peuples chez lesquels il descendait étaient inhospitaliers, et comment, dans ce cas, il vivrait parmi eux. Il se dit que s'ils étaient barbares, il saurait bien leur échaper avec ses éléphans: quant à ses besoins, il réfléchit qu'il camperait s'ils lui refusaient un asile. Il vit qu'il avait pour un mois de vivres avec lui, et qu'à tout événement, il remonterait à la hate vers la Lune, ou chercherait d'autres pays.
Enfin ils prennent terre à deux lieues de Paris, et sont accueillis par nombre de villageois, qui, se persuadant que ce qu'ils voyaient étaient des ballons et non des êtres animés, étaient accourus pour féliciter les voyageurs, qu'ils prenaient pour des habitans de leur globe, et qui restent dans un étonnement stupide et mêlé de terreur lorsqu'ils voyent que la monture du voyageur est un véritable éléphant.... Ils sont près de crier au miracle et de s'agenouiller devant lui, lorsqu'Alphonaponor leur fait entendre par signes, car il ne parlait point la langue, comme Micromégas, par science infuse, qu'il était homme comme eux, connaissant parfaitement l'art des signes, qui n'est pas tout-à-fait inutile comme on l'a cru si sottement autrefois,[2] leur fit concevoir qu'il venait de son pays, c'est-à-dire de la Lune.
Bient?t il exer?a son talent de physionomiste, et il ne vit rien sur la figure de ceux qui l'environnaient qui annon?at la barbarie. Il s'avan?a, en per?ant le groupe des villageois qui l'entouraient, vers une h?tellerie qu'il apper?ut, et où il voulut éprouver si ce peuple était hospitalier: cette observation lui était nécessaire avant d'entrée dans la capitale. Il savait qu'un seul homme pris dans le coin d'un empire, à quelques modifications près, qui tiennent aux usages et au climat, ressemble à la masse de la nation.
Il entra dans l'auberge dont on lui ouvrit les portes avec respect, et on lui offrit à d?ner à table-d'h?te, car c'était l'heure du repas, lorsqu'il eut enfermé ses éléphans dans la cour, et qu'il les eut nourris et abreuvés. Il accepta et se mit à table, où il fut comblé de politesses par tous ceux qui s'y trouvaient, et qui étaient muettes, aucun d'eux n'entendant sa langue, ni le grec qu'il parla, espérant que dans le nombre quelqu'un l'entendrait. (Il l'avait appris dans son ancien voyage.) Ce fut en vain.... Enfin, il fut satisfait des étrangers qui se trouvaient avec lui,
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