si elle ne casse éprouve au moins une forte distention. D'ailleurs, il voyageait en savant, et il voulait s'arrêter à point nommé pour observer. En outre, il voulait ménager ses éléphans, ne ressemblant pas aux voyageurs de la terre, qui s'amusent à crever leurs montures, dirigés par de bizarres caprices, et qui ne réfléchissent pas que les chevaux, mulets, chameaux, etc., dont on se sert sur ce globe, doivent être ménagés par eux, parce qu'ils leur sont utiles.... Il ordonna à ses éléphans de louvoyer, en formant des spirales dans l'éther, et ceux-ci lui obéirent en agitant leurs a?les....
Il ne s'endormit point comme font la plupart des gens qui voyagent, sur leurs montures ou dans leurs voitures; il l'aurait fait s'il e?t été un bénédictin, un prélat de la Lune, un financier et même un académicien couronné.... Mais, dans la Lune, il n'y a point de moines ni de prélats comme il le fera entrevoir plus bas; et les financiers et les académiciens ne pourraient s'endormir sans honte, et sans être vivement réveillés par l'opinion.... Il avait quelque chose dans l'esprit et dans l'ame; et il savait que c'est un tems perdu pour la raison que celui du sommeil. Il s'occupa donc à méditer, non ce qu'il devait faire sur la terre; il n'avait qu'à se laisser aller à son bon sens pour cela: d'ailleurs, il aurait trouvé trop petit l'objet de sa méditation en ce moment: mais il s'arrêta sur les miracles de la nature, et sur la puissance et la bienfaisance de celui qui a enfanté l'oeuvre sublime qu'il avait sous ses regards; car l'immensité des globes infinis qui nagent dans l'espace était sous ses yeux.
On pense que l'élan d'un coup d'a?le de deux-cens pieds d'enverg?re, et dirigé par un animal aussi fort que l'éléphant, devait embrasser un grand espace, et qu'ils devaient fondre sur la terre avec trente fois plus d'activité que le plus grand condor; aussi les éléphans descendaient très-rapidement. Ils firent halte une seule fois: pour cela ils mirent en cape, en laissant leurs a?les immobiles et étendues; et, pendant ce repos, ils re?urent quelques morceaux de pate de la main de leur ma?tre qui n'eut pas besoin de se déranger pour cette opération, non plus que pour leur donner à boire, les éléphans se servant de leurs trompes aussi bien que l'homme de ses mains. Enfin ils arrivèrent à deux cent lieues de la surface de la terre, où Alphonaponor leur ordonna de rester de nouveau en station.... Là il voulait observer la planete sur laquelle il descendait: il voulait voir si la physionomie de ses habitans avait changé depuis qu'il s'y était porté; et il pensait, sans avoir besoin de parcourir, en entier, les marais, les sables et les sentiers des rochers qui couvrent sa surface, pouvoir apprécier ainsi en partie leur caractère. Alphonaponor était un grand physionomiste, et il ne s'était jamais trompé sur ceux dont il avait jugé le caractère et l'humeur d'après les signes extérieurs.... Oh! qu'il serait à désirer que le talent d'Alphonaponor fut connu sur la terre!.... Alphonaponor! si tu pouvais l'y introduire, tu lui donnerais plus que le Potosi. Le Pérou, le Gange, le Mexique et les deux continens réunis, n'offriraient pas assez de trésors pour les déposer à tes pieds.... Quelle couronne ne mériterait pas celui qui nous apprendrait à distinguer l'hypocrisie de la vérité, la bonne foi de la perfidie et l'amitié de l'indifférence! Humanité, tu aurais tout acquis!.... Que dis-je? respectons l'oeuvre de la nature: nés vicieux, ou du moins élevés au sein des vices et des préjugés, qui ont désorganisé nos ames, nous ressemblerions aux bêtes féroces: lorsque tout masque serait enlevé, il n'existerait plus de digue, et nous nous dévorerions tous.
Enfin il prit un de ses télescopes qui portait à plus de deux cent lieues, les lunetiers de son globe ayant surpassé ceux de la terre.
Il le braqua sur la planète et sur l'hémisphère septentrional, étant parti de la Lune à l'époque où elle était en conjonction avec lui. Tout-à-coup il apper?ut un pays, dont il examina la position, et qu'il reconnut, en se retra?ant ses anciennes observations, pour l'Asie-Mineure.
D'un coup-d'oeil, il s'apper?ut que ces vastes régions avaient changé de ma?tres; de lois et d'usages, en contemplant l'aspect de ses habitans, qu'il jugea réduits au plus vil esclavage. Il n'arrêta point sa vue sur Bizance, qu'il jugea, encore avec raison, être la capitale de l'empire du despotisme, et il chercha l'Hellespont. Bient?t il détourna ses yeux en découvrant la Grèce qu'il ne reconnut qu'à sa position, et il soupira en se retra?ant l'ancienne gloire de cet empire dont il ne retrouvait pas un seul monument....
Il étendit sa vue sur l'Italie; et ne vit en elle que l'ombre de ce pays. Il se dit, en voyant la transformation totale de la Grèce et
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