Voyage dun Habitant de la Lune à Paris à la fin du XVIIIe Siecle | Page 8

Pierre Gallet
et se crut transporté dans les environs d'Athènes, en découvrant la même urbanité dans les hommes qu'il rencontrait dans ceux de Paris. Il tira le plus heureux augure sur le caractère des fran?ais d'après ce qu'il voyait. Il se dit qu'une nation polie ne pouvait être méchante, et qu'elle pouvait avoir, tout au plus, des vices généraux.... Alphonaponor jugeait assez bien, comme on le voit: cependant j'aurais désiré qu'il se f?t laissé un peu moins séduire par la politesse; et il aurait du distinguer qu'elle n'est qu'un accessoire des autres vertus, et que, chez nombre de peuples, elle n'est qu'un signe trompeur. Ce que je dis ne regarde point ma nation, à qui on ne pourra jamais refuser le caractère de douceur et de bienveillance envers les étrangers. Ses ennemis sont forcés de lui rendre cette justice; et le philosophe, tout en attaquant ses défauts, doit s'attacher à proclamer ses qualités.
Lorsqu'Alphonaponor eut d?né, il voulut partir pour la capitale, et il l'annon?a par signes à son h?te. Celui-ci lui apporta aussi-t?t la carte. Voyant que le voyageur ne le comprenait pas, il lui montra une pièce d'or, en lui faisant entendre qu'il fallait lui en donner une semblable. Alphonaponor lui ayant fait signe qu'il n'en avait point, l'aubergiste se montra mécontent, et sembla le menacer d'arrêter ses éléphans.... Alors le Voyageur, qui comprit sa menace, se dit en lui-même: ?Je vois qu'en ce lieu l'or fait tout comme en Grèce et à Rome.? c'est une épidémie qui para?t née avec ce globe, et qui s'y propage par-tout comme la peste. Quelle-est donc cette manie de tout immoler à ce morceau de boue? Je plains cette nation de n'être pas hospitalière, et de suivre le mauvais exemple. Je crains bien que l'or ne parvienne à étouffer en elle les vertus....
Après avoir réfléchi un instant, il se rappela qu'il avait, outre ses instrumens de physique, dont il ne se serait pas défait pour rien au monde, e?t-il fallu combattre le village entier, des morceaux de cette matière qui servaient à assolider les selles de ses éléphans; et il résolut d'en détacher deux clous qu'il voulut donner à l'aubergiste. Ce dernier n'avait pu les voir, les selles étant couvertes par d'immenses housses qui les enveloppaient.
Enfin Alphonaponor, qui, à tout prix, ne voulait pas être en reste avec personne, détacha deux clous de ses harnais, et les donna à l'h?te, qui les re?ut avec méfiance, et ne le laissa partir que lorsqu'il eut fait passer les deux morceaux d'or dans les mains des autres voyageurs, et qu'il fut convaincu qu'il était payé. Sans doute, il aurait du être satisfait; Alphonaponor n'ayant pas fait la dépense réelle de trente sols, car il n'avait mangé que du pain et des légumes, et il lui donnait pour plus de six louis pesans de cette matière. Cependant l'aubergiste parut ne point l'être, l'or n'étant pas monnoié. Cette espèce d'homme, Alphonaponor en aurait fait la réflexion s'il l'eut connue, est la plus bizarre et la plus intraitable qui soit sur la terre.
Enfin le voyageur monta sur son éléphant, et prit au grand trot le chemin de Paris, en se disant que, dans la Lune et tout état bien policé, un voyageur ne serait pas obligé de déclouer ses harnois pour payer le plus modique des d?ners et l'abri de ses montures; et il offrit un hommage aux grecs, dont il exalta l'amour de l'hospitalité....
Il examina avec étonnement, dans sa route, les murailles de boue qui ceignaient ou bordaient les villages. Lorsqu'il en vit formées avec des ossemens, le dégo?t le saisit; et il se dit: ?il n'est pas possible que cette ville soit ce qu'elle m'a paru avec mon télescope; ou bien la bizarrerie le bon et le mauvais go?t se sont associés pour la construire....
Le trot de ses éléphans équivalant au moins au galop des chevaux barbes, il arriva dans quelques minutes aux portes de la capitale. Il franchit les barrières, en n'écoutant pas les commis qui semblaient vouloir sonder le ventre de ses éléphans, il s'avan?a dans le fauxbourg St-Marceau ... ?m'y voici enfin, dit-il: mais tout-à-coup il se frotta les yeux, et crut dormir, lorsqu'il apper?ut les masures qui composent ce fauxbourg, ses rues étroites, sales, qu'il regarda comme des ruelles; et il s'écria: ?je m'abuse; je ne suis pas à l'entrée de cette grande cité: ordinairement un beau palais a un péristile majestueux.... Cependant, après s'être rallié, il vit qu'il était dans un des fauxbourgs de la capitale. Il fit, dans sa pensée, la comparaison des magnifiques rues qui conduisent au centre de la capitale de la Lune, et il pensa que le satellite est bien au-dessus de la planète.
Il poussa plus loin. Après avoir grimpé un monticule escarpé, et aussi mal entouré que l'entrée du faubourg, où il ne découvrit pas l'industrie accompagnée de
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