Voyage dun Habitant de la Lune à Paris à la fin du XVIIIe Siecle | Page 5

Pierre Gallet
doit être notre égide, dans le cas où un jour la révolution planétaire que je redoute s'effectuerait.? Alors il embrassa Alphonaponor, car les rois de la Lune sont assez grands pour embrasser leurs sujets, qu'ils regardent quelquefois au-dessus d'eux, et le congédia.
Avant de suivre le voyageur dans les préparatifs de son voyage, faisons une petite digression: elle doit contenir l'éloge du roi de la Lune. Sa politique est sage; il veut conna?tre ce qui se passe autour de lui; cela est dans l'ordre. De l'observation, comme cela a été dit ailleurs, na?t la comparaison, et la comparaison amène la transformation favorable. C'est parce qu'on n'a pas su observer et comparer qu'on est tombé sur la terre dans tant d'écarts. Une nation ou un homme qui ne possède pas ces deux facultés, ressemble à l'ane qui va au moulin; qui ne pense qu'au sac qu'il a sur le dos; et qui voyant l'anier comme son seul ma?tre, re?oit humblement, et d'une ame résignée, les coups de baton que ne lui épargne pas ce dernier. Si l'ane observait et comparait, il saurait que l'anier n'a pas plus de droit à les lui distribuer, que lui à lancer des ruades à ce premier.... La politique du roi de la Lune est encore intéressante et noble, parce qu'il ne fait point d'un ambassadeur un espion, comme tant d'autres l'ont fait.
Alphonaponor est bient?t prêt à se mettre en route. Il fait seller deux éléphans a?lés qui lui ont servi dans ses divers voyages, et dont la race se trouve dans sa planete.... Des éléphans a?lés! ... Pourquoi pas? Qui peut voir les bornes du pouvoir de la nature? Qui peut assurer qu'elle a épuisé toutes ses ressources pour la terre? Savons-nous si dans les divers mondes habités, elle n'a point créé des hommes qui portent des sens assez forts pour résister des millions de siècles à l'atteinte du tems? ... Pauvres insensés, nous n'avons vu la nature qu'à travers un microscope, et nous voulons limiter sa puissance!....
Le but d'Alphonaponor en choisissant les éléphans, préférablement à nombre d'autres quadrupèdes a?lés qui se trouvent dans la Lune, était d'avoir avec lui des êtres doués de la force, et sur-tout de l'intelligence; car dans la Lune, comme chez nous, ces animaux attirent l'admiration par cette dernière faculté, qu'ils portent à un tel point qu'elle égale celle de l'homme pour ce qui concerne leurs besoins; et dont le dévouement, la douceur et les autres qualités morales, qui tiennent à leur instinct, les élèvent quelquefois au-dessus de l'homme.
Il chargea l'un des deux de tout ce qu'il avait besoin dans son voyage, qui se réduisait à une cinquantaine de boisseaux de farine, à deux outres pleines de la plus belle eau, et à des vases pour abreuver ses éléphans; par bizarrerie; (est-il un seul être sorti du moule de l'humanité qui n'ait la sienne, dans quelque globe qu'il habite?) il se servait lui-même en route de la tasse que Diogène trouva avec tant de joie. Il prit en outre une cassette qui contenait quelques instrumens de mathématique, avec lesquels il voulait mesurer notre globe, car Alphonaponor était un habile physicien. Il se chargea enfin d'autres objets relatifs aux arts, qu'il voulait montrer aux habitans de la terre si, emportés par leur prévention ridicule, qu'il n'y a qu'eux qui connaissent le beau, ils osaient douter que les arts ne triomphent pas dans la Lune. Ce qui l'avait porté à prendre ces objets, et à faire ces réflexions, c'est que, dans son voyage en Orient, il avait vu les Egyptiens et les Grecs former le doute dont il parle. Il n'avait pu les convaincre, n'ayant pu le pressentir, et ne s'étant pas muni de preuves matérielles.
Enfin il monta gaiement sur l'un de ses quadrupèdes a?lés, à qui il n'avait point mis de bride. Lorsqu'ils ont déployé leurs a?les, qui ont plus de deux-cent pieds d'enverg?re; il fallait au moins cela pour soutenir de si lourdes masses; il crie à droite ou à gauche: cela suffit à l'éléphant qui le porte; le second le suit avec la même docilité. Ces deux animaux auraient pu se laisser tomber, et lorsqu'ils auraient été à une lieue de la terre déployer tout-à-coup leurs a?les; le voyage aurait été fait plus vite, et Alphonaponor n'aurait été, d'après l'observation qu'on a faite de la ch?te de la meule de moulin, qui n'est guère plus lourde qu'un éléphant, que de quelques heures en route. Les poulmons de ces animaux, ainsi que ceux du voyageur, auraient pu résister à la pression de l'air, même lorsqu'ils auraient trouvé l'horison épais de la terre. Mais Alphonaponor n'aimait pas les très-grands mouvemens, sachant qu'ils ne sont point naturels à l'homme de la Lune, non plus qu'à celui de notre planete. Il sait qu'il ne faut pas violenter la nature, et qu'une corde trop tendue,
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