convaincu que Gilblas et Don-Quichotte ont été cent fois plus lus, par vous, que Cleveland, Clarisse, et les autres romans sérieux.... Encore un coup, lecteur, attachez-vous au fond: envisagez les motifs de l'écrivain plus que le ton qu'il prend, et la manière dont il s'exprime; pourvu que ce ton soit autorisé par l'art, et que sa manière de s'exprimer soit analogue aux principes de cet art, et à ceux du langage. Voyez, enfin sous les touffes de éphémères; si je puis leur comparer les tons du discours et les nuances de l'expression, quelques fruits salutaires, vers lesquels leur éclat séducteur ou leur aspect bizarre vous attire.
VOYAGE D'UN HABITANT DE LA LUNE A PARIS A LA FIN DU XVIIIe SIèCLE
Le grand et sage monarque du petit satellite de la terre, voulant conna?tre à fond notre planete, avait envoyé dès long-tems des ambassadeurs pour observer ses moeurs, ses loix, son ambition, ses forces, etc; et, pour pouvoir se mettre en mesure, dans le cas où les deux globes se rapprocheraient, par une des révolutions qui se font quelquefois dans le ciel, non à l'égard des grands astres, car un seul ne pourrait être dérangé sans que l'harmonie générale fut ébranlée, que l'équilibre fut rompu, et qu'il n'y e?t peut-être un bouleversement général; mais, dans les planetes, et sur-tout dans leurs satellites. Ses savans avaient découvert une certaine inclinaison dans l'axe de la terre où ils l'avaient cru; car, en fait d'astronomie et de physique, les savans de tout l'univers me paraissent être sujets à s'égarer. J'en appelle aux n?tres qui, à coup s?r, ne nous ont pas toujours dit la vérité, même dans leurs mémoires présentés à l'académie.
Le roi de la Lune avait appris que les habitans de la terre, quoique moins grands et moins forts que ceux de sa planete, aimaient le trouble et les chocs; que, s'étant persuadés que l'univers a été fait pour eux, ils le conquièrent en imagination, et qu'ils tacheraient de ranger sous leur joug tous ceux que le malheur mettrait en butte à leur ambition et à leur extravagance. Il avait voulu se prémunir contre ceux-ci, dans le cas où, la force attractive dominant sur la repressive, le satellite se précipiterait sur la planete.
Alphonaponor, le même qui va figurer dans notre voyage, avait déjà fait une course sur ce globe; et n'avait parcouru que sa partie orientale, alors seulement peuplée et policée; car il avait fait son voyage il y a deux mille ans.... Comment deux mille ans! s'écrie le lecteur; les habitans de la Lune ont-ils une si longue existence? D'où peut provenir cet écart de la nature? N'est-elle pas un satellite de la terre? Les habitans de celle-ci ne doivent-ils pas avoir plus de droits? S'ils ne vivent qu'un siècle, ceux de la Lune ne devraient pas exister un demi lustre; la terre étant neuf cent fois plus grosse que son satellite? ... Suspendez votre décision, lecteur: Alphonaponor répondra bient?t à votre question, et vous verrez combien l'esprit d'analyse est nécessaire lorsqu'on veut porter un jugement solide....
Le roi de la Lune était donc prémuni contre les peuples qui habitaient la terre il y a deux mille années. Il connaissait l'ambition effrénée des Romains, et la politique des Grecs, ainsi que leurs vaines idées sur la gloire dans les derniers tems de leur empire. Mais il voyait que cela ne pouvait lui servir pour les siècles présens, ayant appris qu'il s'était fait de grandes révolutions sur ce globe. Il n'aimait pas à laisser sortir ses sujets de son empire, de peur qu'ils n'y revinssent moins bons, et qu'ils y portassent les vices des habitons de la terre ou des autres planetes, comme cela arrive aux trois-quarts de ceux qui s'éloignent de leur pays. Cependant, ma?trisé par sa politique, il se vit forcé d'employer la mesure des voyageurs, dont la plupart vont chez les peuples, en pénétrant dans leur sein comme l'Ichneumon d'Egypte pénètre dans celui du Crocodile; examinent les parties faibles de leur constitution, et sont le plus souvent la cause de leur perte. Né Franc, et guidé par une morale saine; il pensait que ce n'était pas agir d'une manière loyale. En se décidant, il n'employa point la tactique commune aux rois, de charger leurs agens d'intriguer, et de miner sourdement le corps des nations qui leur donnent l'hospitalité, qui les re?oivent en amis, et souvent les comblent d'honneurs dans l'instant où elles devraient se méfier d'eux et les bannir de leurs états.
Les instructions qu'il donna à Alphonaponor, furent simples. ?Observe, lui dit-il, l'état de la terre, en jettant sur ses nations un coup-d'oeil. Apprécie leurs moeurs, et leur degré de force: quant à leur politique, je ne veux point que tu te jetes dans ce dédale bourbeux et sans fond. Je me confie à ton jugement. D'après tes observations, j'établirai le systême qui
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