s'admirer sans cesse, en disant que tout ce qui ne tient pas au coeur, qui contraint notre volonté, et contrarie le bon sens, est une niaiserie? N'ont-ils pas donné le même nom à notre amour désordonné pour la mode et le faste, en faisant entrevoir qu'on est véritablement niais, lorsqu'on sacrifie sa fortune, sa vertu et les plus doux biens de la vie, qui naissent de la simplicité, à ces penchans, dont on ne recueille pour fruit, que l'ennui ou le dégo?t? N'ont-ils pas mis au rang des niaiseries mille autres pratiques et usages dont je ne parle point; car je vous lasserais, lecteur?.... Venons aux nations qui ne nous ont sans-doute pas épargné le titre dont nous parlons.
Les Turcs ne nous traitent-ils pas de niais en nous voyant costumés comme on le serait sous l'équateur, et en envisageant que nous habitons un climat humide et froid assez souvent, quoique sous la Zone tempérée? Les Italiens, et les Espagnols n'emploient-ils pas ce terme en voyant la complaisance extrême des maris fran?ais pour leurs femmes? Les anglais ne traitent-ils pas de niaiseries nos calembourgs, nos charades, et les sarcasmes de quelques-uns de nos écrivains, en disant qu'ils n'ont aucun but et aucun sens, etc. etc.?
Ne regardez-vous pas, à votre tour, comme des niais les Espagnols, lorsqu'ils passent les nuits sous les fenêtres de leurs ma?tresses, auxquelles ils ne peuvent toucher le bout du doigt? les Italiens, lorsqu'ils livrent leurs femmes à d'aimables Sigisbés? les Allemands, lorsque vous les voyez entêtés; soit de la supériorité qu'ils croyent avoir dans les armes, ou ceux d'entr'eux qui, oubliant leur fortune, et fuyant les plaisirs, ne s'occupent que de leurs quartiers de noblesse, et qui regardent le cabinet où sont leurs illustres parchemins, comme s'il contenait les mines de Mancos et du Potosi? N'avez-vous pas traité de niais les Turcs, lorsqu'ils croyent être agréables à Dieu en faisant pirouetter les Derviches dans leurs mosquées? les Russes, lorsqu'ils se persuadent qu'en marchant sous la bannière de St. Nicolas ils seront à l'abri de la mort? N'avez-vous pas donné ce titre aux Lapons, lorsqu'ils prêtent leurs femmes aux voyageurs; ce que je n'affirme point malgré les assertions de plusieurs d'entr'eux? N'avez-vous pas fait l'apostrophe de niais aux Indiens, lorsqu'ils mettent en relique la bouze de vache? sans parler des extases, tourmens volontaires, etc., dont les faquirs, les talapoins, les bonzes, etc., vous ont offert le tableau.... N'avez-vous pas mis dès long-tems au rang des niais les Egyptiens, qui voyaient leurs Dieux dans leurs porreaux? les Juifs, parce qu'ils regardaient le porc comme immonde? les prêtres grecs qui croyaient trouver l'antre du destin dans le ventre de leurs victimes? Nous rapprochant de notre tems, n'avez-vous pas traités de tels, ces chevaliers des 12., 13. et 14mes. siècles, qui juraient un amour éternel à leurs belles, se faisaient tuer pour elles, et sans leur demander jamais le dernier prix de l'amour?
Je ne finirais pas, lecteur, si je vous retra?ais tous ceux que nos grands hommes et nous, nommames niais sur la terre, et tous les traits de niaiserie qu'on nous prêta. Je dois, avant de terminer sur l'article de la niaiserie, vous dire mon opinion sur l'application du mot qui m'a entra?né si loin. Je crois que le véritable niais est celui qui pense savoir ce qu'il ne sait point, qui, osant affirmer avec audace, et d'après lui-même, lève comme l'insecte son dard contre le soleil, que représente la raison; et je crois que celui-là est seulement affranchi du titre de niais, qui suit la loi de la nature, de la Vérité, et montre aux hommes leurs bienfaits et leur but.
?Voilà un avant-propos sur un ton bien gai, s'écrieront quelques lecteurs sévères, tandis que le voyage est sérieux au fond, et offre des discussions de systême....? Mais quel rapport a l'avant-propos avec l'ouvrage? L'écrivain doit-il être toujours associé au héros? Distinguez-les donc une fois, pour toutes, lecteur; c'est une des mesures les plus essentielles pour bien juger. On peut excuser la préface, et condamner l'ouvrage; et l'on peut blamer l'ouvrage, et applaudir au but de l'écrivain, ainsi qu'au ton de la préface. En ne considérant que l'écrivain, vous vous exposez à être entra?né par la prévention, et à porter, malgré vous-même, un jugement équivoque; l'homme étant, peut-être, aussi esclave de la prévention que de l'orgueil, ce qui est pousser l'argument jusqu'au période.... Lecteur, conduisez-vous envers les écrivains de bonne foi, et qui vous disent la vérité, même en s'égayant, comme un père qui laisse folatrer son fils, à son gré, pourvu qu'il remplisse son devoir. D'ailleurs, pourquoi chercherais-je à justifier auprès de vous le ton de mon avant-propos? Ne sais-je pas, à mes propres dépens peut-être, que vous vous attachez généralement, et avec propension, aux ouvrages qui portent le caractère de la gaieté? Enfin n'êtes-vous pas Fran?ais? Je suis
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