premiere réflexion qui me vint à l’esprit, fut de songer qu’il y avoit sous la terre beaucoup de pays que nous ne connoissions pas, ce qui me parut une observation importante pour la géographie et la physique; mais il est vrai qu’entra?né par la curiosité et l’admiration des objets qui s’offroient à mes yeux, je ne m’arrêtai pas long tems à ces réflexions philosophiques.
J’entrai dans la campagne sans trop s?avoir où je tournerois mes pas, me sentant également attiré de tous c?tés par des beautés nouvelles, et pouvant à peine me donner le loisir d’en considérer aucune en particulier. Je me déterminai enfin à suivre une charmante riviere qui serpentoit dans la plaine. Cette riviere étoit bordée d’un gazon le plus beau, le plus riant, le plus tendre qu’on puisse imaginer, et ce gazon étoit embelli de mille fleurs de différente espece. Elle arrosoit une prairie d’une beauté admirable, dont l’herbe et les fleurs parfumoient l’air d’une odeur exquise, et si en serpentant elle sembloit quelquefois retourner sur ses pas, c’est sans doute parce qu’elle avoit un regret sensible de quitter un si beau lieu. La prairie étoit ornée dans toute son étendu? de bosquets délicieux, placés dans de justes distances pour plaire aux yeux, et comme si la nature aimoit aussi quelquefois à imiter l’art, comme l’art se pla?t to?jours à imiter la nature, j’apper?us dans quelques endroits des especes de desseins réguliers formés de gazon, de fleurs et d’arbrisseaux qui faisoient des parterres charmans; mais la riviere elle-même sembloit épuiser toute mon admiration. L’eau en étoit plus claire et plus transparente que le crystal. Pour peu qu’on voul?t prêter l’oreille, on entendoit ses ondes gémir tendrement, et ses eaux murmurer doucement; et ce doux murmure se joignant au chant mélodieux des cygnes, qui sont là fort communs, faisoit une musique extrêmement touchante. Au lieu de sable on voyoit briller au fond de la riviere des nacres de perle, et mille pierres précieuses; et on distinguoit sans peine dans le sein de l’onde un nombre infini de poissons dorés, argentés, azurés, pourpre, qui pour rendre le spectacle plus aimable, se plaisoient à faire ensemble mille agréables jeux. C’est pourtant dommage, dis-je tout bas, qu’on ne puisse point passer d’un bord à l’autre pour joüir également des deux c?tés de la riviere. Le croira-t-on? Sans doute; car j’ai bien d’autres merveilles à raconter. à peine donc eus-je prononcé tout bas ces paroles, que j’apper?us à mes pieds un petit batteau fort propre. Je connoissois trop par mes lectures l’usage de ces batteaux, pour hésiter d’y entrer. J’y descendis en effet, et dans le moment je fus porté à l’autre bord de la riviere. Que les incrédules osent après cela faire valoir de mauvaises subtilités contre des faits si avérés. Voici dequoi achever de les confondre, c’est que considérant un certain endroit de la riviere, et trouvant qu’il e?t été à propos d’y faire un pont, je fus tout étonné d’en voir un tout fait dans le moment même; de sorte qu’on n’a jamais rien v? de si commode.
Cependant je continuai ma route, et je puis dire, sans exagération, qu’à chaque pas je rencontrai de nouveaux sujets d’admiration. J’apper?us entr’autres un endroit dans la prairie qui me parut un peu plus cultivé. J’eus la curiosité d’en approcher, et je trouvai une fontaine. L’eau m’en par?t si pure et si belle, que ne doutant pas qu’elle ne f?t excellente, j’en voulus go?ter; mais que ne sentis-je pas dans le moment au dedans de moi-même! Quelle ardeur, quels transports, quels mouvemens inconnus, quels feux! Ces feux avoient à la vérité quelque chose de doux, et il me semble que j’y trouvois du plaisir; mais ils étoient en même-tems si vifs et si inquiets, que ne me possédant plus moi-même, et tombant alternativement de la plus vive agitation dans une profonde rêverie, je marchois au travers de la prairie sans s?avoir précisément où j’allois. Je rencontrai ainsi une seconde fontaine, et je ne s?ais quel mouvement me porta à boire aussi de son eau. Mais à peine en eus-je avalé quelques gouttes, que je me trouvai tout changé. Il me sembla que mon coeur étoit enveloppé d’une vapeur noire, et que mon esprit se couvroit d’un nuage sombre. Je sentis des transports furieux, et des mouvemens confus de haine et d’aversion pour tous les objets qui se présentoient. Ce changement m’ouvrit les yeux. Je me rappellai ce que j’avois l? des fontaines de l’amour et de la haine, et je ne doutai plus que ce ne fussent celles dont je venois de boire. Alors me souvenant que j’avois aussi l? que le lac d’indifférence ne devoit pas être éloigné des deux fontaines, je me hatai de le chercher, et l’ayant rencontré (car dans ce pays-là on rencontre to?jours tout ce qu’on cherche) j’en bus
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