Vittoria Accoramboni | Page 8

Stendhal
peine le repas fut-il termin?, qu'il perdit connaissance et deux heures avant le coucher du soleil il ?tait mort.
Apr?s cette mort subite, Vittoria Accoramboni, accompagn?e de Marcel, son fr?re, et de toute la cour du prince d?funt, se rendit �� Padoue dans le palais Foscarini, situ? pr?s de l'Arena, celui-l�� m?me que le prince Orsini avait lou?.
Peu apr?s son arriv?e, elle fut rejointe par son fr?re Flaminio, qui jouissait de toute la faveur du cardinal Farn?se. Elle s'occupa alors des d?marches n?cessaires pour obtenir le payement du legs que lui avait fait son mari; ce legs s'?levait �� soixante mille piastres effectives qui devaient lui ?tre pay?es dans le terme de deux ann?es, et cela ind?pendamment de la dot, de la contre-dot, et de tous les joyaux et meubles qui ?taient en son pouvoir. Le prince Orsini avait ordonn?, par son testament, qu'�� Rome, ou dans telle autre ville, au choix de la duchesse, on lui ach?terait un palais de la valeur de dix mille piastres, et une vigne (maison de campagne) de six mille; il avait prescrit de plus qu'il f�Ct pourvu �� sa table et �� tout son service comme il convenait �� une femme de son rang. Le service devait ?tre de quarante domestiques, avec un nombre de chevaux correspondant.
La signora Vittoria avait beaucoup d'espoir dans la faveur des princes de Ferrare, de Florence et d'Urbin, et dans celle des cardinaux Farn?se et de M?dicis nomm?s par le feu prince ses ex?cuteurs testamentaires. Il est �� remarquer que le testament avait ?t? dress? �� Padoue, et soumis aux lumi?res des excellentissimes Parrizolo et Menochio, premiers professeurs de cette universit? et aujourd'hui si c?l?bres jurisconsultes.
Le prince Louis Orsini arriva �� Padoue pour s'acquitter de ce qu'il avait �� faire relativement au feu duc et �� sa veuve, et se rendre ensuite au gouvernement de l'?le de Corfou, auquel il avait ?t? nomm? par la S?r?nissime R?publique.
Il naquit d'abord une difficult? entre la signora Vittoria et le prince Louis, sur les chevaux du feu duc, que le prince disait n'?tre pas proprement des meubles suivant la fa?on ordinaire de parler; mais la duchesse prouva qu'ils devaient ?tre consid?r?s comme des meubles proprement dits, et il fut r?solu qu'elle en retiendrait l'usage jusqu'�� d?cision ult?rieure, elle donna pour garantie le seigneur Soardi de Bergame, condottiere des seigneurs v?nitiens, gentilhomme fort riche et des premiers de sa patrie.
Il survint une autre difficult? au sujet d'une certaine quantit? de vaisselle d'argent, que le feu duc avait remise au prince Louis comme gage d'une somme d'argent que celui-ci avait pr?t?e au duc. Tout fut d?cid? par voie de justice, car le s?r?nissime (duc) de Ferrare s'employait pour que les derni?res dispositions du feu prince Orsini eussent leur enti?re ex?cution.
Cette seconde affaire fut d?cid?e le 23 d?cembre, qui ?tait un dimanche.
La nuit suivante, quarante hommes entr?rent dans la maison de ladite dame Accoramboni. Ils ?taient rev?tus d'habits de toile taill?s d'une mani?re extravagante et arrang?s de fa?on qu'ils ne pouvaient ?tre reconnus, sinon par la voix; et, lorsqu'ils s'appelaient entre eux, ils faisaient usage de certains noms de jargon.
Ils cherch?rent d'abord la personne de la duchesse, et, l'ayant trouv?e, l'un d'eux dit: "Maintenant, il faut mourir."
Et, sans lui accorder un moment, encore qu'elle demand?t de se recommander �� Dieu, il la per?a d'un poignard ?troit au-dessous du sein gauche, et, agitant le poignard en tous sens, le cruel demanda plusieurs fois �� la malheureuse de lui dire s'il lui touchait le coeur; enfin elle rendit le dernier soupir. Pendant ce temps les autres cherchaient les fr?res de la duchesse, desquels l'un, Marcel, eut la vie sauve, parce qu'on ne le trouva pas dans la maison; l'autre fut perc? de cent coups. Les assassins laiss?rent les morts par terre, toute la maison en pleurs et en cris; et, s'?tant saisis de la cassette qui contenait les joyaux et l'argent, ils partirent.
Cette nouvelle parvint rapidement aux magistrats de Padoue; ils firent reconna?tre les corps morts, et rendirent compte �� Venise.
Pendant tout le lundi, le concours fut immense audit palais et �� l'?glise des Ermites pour voir les cadavres. Les curieux ?taient ?mus de piti?, particuli?rement a voir la duchesse si belle: ils pleuraient son malheur, et dentibus fremebant (et grin?aient des dents) contre les assassins; mais on ne savait pas encore leurs noms.
La corte ?tant venue en soup?on, sur de forts indices, que la chose avait ?t? faite par les ordres, ou du moins avec le consentement dudit prince Louis, elle le fit appeler, et lui voulant entrer in corte (dans le tribunal) du tr?s illustre capitaine avec une suite de quarante hommes arm?s, on lui barra la porte, et on lui dit qu'il entr?t avec trois ou quatre seulement. Mais, au moment o�� ceux-ci passaient, les autres se jet?rent �� leur suite, ?cart?rent les gardes,
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