Vittoria Accoramboni | Page 7

Stendhal
d?vorer, se jetterait sur les chairs vivantes qui l'entourent.
Le prince prit pr?texte de ce mal pour aller aux c?l?bres bains d'Albano, pr?s de Padoue, pays d?pendant de la r?publique de Venise; il partit avec sa nouvelle ?pouse vers le milieu de juin. Albano ?tait un port tr?s s�Cr pour lui; car, depuis un grand nombre d'ann?es, la maison Orsini ?tait li?e �� la r?publique de Venise par des services r?ciproques.
Arriv? en ce pays de s�Cret?, le prince ne pensa qu'�� jouir des agr?ments de plusieurs s?jours; et, dans ce dessein, il loua trois magnifiques palais: l'un �� Venise, le palais Dandolo, dans la rue de la Zecca; le second �� Padoue, et ce fut le palais Foscarini, sur la magnifique place nomm?e l'Arena; il choisit le troisi?me �� Salo, sur la rive d?licieuse du lac de Garde: celui-ci avait appartenu autrefois �� la famille Sforza Pallavicini.
Les seigneurs de Venise (le gouvernement de la r?publique) apprirent avec plaisir l'arriv?e dans leurs Etats d'un tel prince, et lui offrirent aussit��t une tr?s noble condotta (c'est-��-dire une somme consid?rable pay?e annuellement, et qui devait ?tre employ?e par le prince �� lever un corps de deux ou trois mille hommes dont il aurait le commandement). Le prince se d?barrassa de cette offre fort lestement; il fit r?pondre �� ces s?nateurs que, bien que, par une inclination naturelle et h?r?ditaire en sa famille, il se sent?t port? de coeur au service de la S?r?nissime R?publique, toutefois, se trouvant pr?sentement attach? au roi catholique, il ne lui semblait pas convenable d'accepter un autre engagement. Une r?ponse aussi r?solue jeta quelque ti?deur dans l'esprit des s?nateurs. D'abord ils avaient pens? �� lui faire, �� son arriv?e �� Venise et au nom de tout le public, une r?ception fort honorable; ils se d?termin?rent, sur sa r?ponse, �� le laisser arriver comme un simple particulier.
Le prince Orsini, inform? de tout, prit la r?solution de ne pas m?me aller �� Venise. Il ?tait d?j�� dans le voisinage de Padoue, il fit un d?tour dans cet admirable pays, et se rendit, avec toute sa suite, dans la maison pr?par?e pour lui �� Salo, sur les bords du lac de Garde. Il y passa tout cet ?t? au milieu des passe-temps les plus agr?ables et les plus vari?s.
L'?poque du changement (de s?jour) ?tant arriv?e, le prince fit quelques petits voyages, �� la suite desquels il lui sembla ne pouvoir supporter la fatigue comme autrefois; il eut des craintes pour sa sant?; enfin il songea �� aller passer quelques jours �� Venise; mais il en fut d?tourn? par sa femme, Vittoria, qui l'engagea �� continuer de s?journer �� Salo.
Il y a eu des gens qui ont pens? que Vittoria Accoramboni s'?tait aper?ue du p?ril que couraient les jours du prince son mari, et qu'elle ne l'engagea �� rester �� Salo que dans le dessein de l'entra?ner plus tard hors d'Italie, et par exemple dans quelque ville libre, chez les Suisses; par ce moyen elle mettait en s�Cret?, en cas de mort du prince, et sa personne et sa fortune particuli?re.
Que cette conjecture ait ?t? fond?e ou non, le fait est que rien de tel n'arriva, car le prince ayant ?t? attaqu? d'une nouvelle indisposition �� Salo, le 10 novembre, il eut sur-le-champ le pressentiment de ce qui devait arriver.
Il eut piti? de sa malheureuse femme; il la voyait, dans la plus belle fleur de sa jeunesse, rester pauvre autant de r?putation que des biens de la fortune haie des princes r?gnants en Italie, peu aim?e des Orsini, et sans espoir d'un autre mariage apr?s sa mort. Comme un seigneur magnanime et de foi loyale, il fit, de son propre mouvement, un testament par lequel il voulut assurer la fortune de cette infortun?e. Il lui laissa en argent ou en joyaux la somme importante de cent mille piastres*, outre tous les chevaux, carrosses et meubles dont il se servait dans ce voyage. Tout le reste de sa fortune fut laiss? par lui �� Virginio Orsini, son fils unique, qu'il avait eu de sa premi?re femme, soeur de Fran?ois Ier, grand-duc de Toscane (celle-l�� m?me qu'il fit tuer pour infid?lit?, du consentement de ses fr?res). * Environ 2000000 de 1837.
Mais combien sont incertaines les pr?visions des hommes! Les dispositions que Paul Orsini pensait devoir assurer une parfaite s?curit? �� cette malheureuse jeune femme se chang?rent pour elle en pr?cipices et en ruine.
Apr?s avoir sign? son testament, le prince se trouva un peu mieux le 12 novembre. Le matin du 13 on le saigna, et les m?decins, n'ayant d'espoir que dans une di?te s?v?re, laiss?rent les ordres les plus pr?cis pour qu'il ne pr?t aucune nourriture.
Mais ils ?taient �� peine sortis de la chambre, que le prince exigea qu'on lui serv?t �� d?ner; personne n'osa le contredire, et il mangea et but comme �� l'ordinaire. A
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