Vittoria Accoramboni | Page 3

Stendhal
plus grande urgence, il l'attendait pr?s du palais de Montecavallo.
F?lix fit part �� sa femme de la singuli?re lettre qui lui ?tait remise, puis il s'habilla et ne prit d'autre arme que son ?p?e. Accompagn? d'un seul domestique qui portait une torche allum?e, il ?tait sur le point de sortir quand il trouva sous ses pas sa m?re Camille, toutes les femmes de la maison, et parmi elles Vittoria elle-m?me; toutes le suppliaient avec les derni?res instances de ne pas sortir �� cette heure avanc?e. Comme il ne se rendait pas �� leurs pri?res, elles tomb?rent �� genoux, et, les larmes aux yeux, le conjur?rent de les ?couter.
Ces femmes, et surtout Camille, ?taient frapp?es de terreur par le r?cit des choses ?tranges qu'on voyait arriver tous les jours, et demeurer impunies dans ces temps du pontificat de Gr?goire XIII, pleins de troubles et d'attentats inou?s. Elles ?taient encore frapp?es d'une id?e: Marcel Accoramboni, quand il se hasardait �� p?n?trer dans Rome, n'avait pas pour habitude de faire appeler F?lix, et une telle d?marche, �� cette heure de la nuit, leur semblait hors de toute convenance.
Rempli de tout le feu de son ?ge, F?lix ne se rendait point �� ces motifs de crainte; mais, quand il sut que la lettre avait ?t? apport?e par le Mancino, homme qu'il aimait beaucoup et auquel il avait ?t? utile, rien ne put l'arr?ter, et il sortit de la maison'.
Il ?tait pr?c?d?, comme il a ?t? dit, d'un seul domestique portant une torche allum?e; mais le pauvre jeune homme avait �� peine fait quelques pas de la mont?e de Montecavallo, qu'il tomba frapp? de trois coups d'arquebuse. Les assassins, le voyant par terre, se jet?rent sur lui, et le cribl?rent �� l'envi de coups de poignard, jusqu'�� ce qu'il leur par�Ct bien mort. A l'instant, cette nouvelle fatale fut port?e �� la m?re et �� la femme de F?lix, et, par elles, elle parvint au cardinal son oncle.
Le cardinal, sans changer de visage, sans trahir la plus petite ?motion, se fit promptement rev?tir de ses habits, et puis se recommanda soi-m?me �� Dieu et cette pauvre ?me (ainsi prise �� l'improviste). Ii alla ensuite chez sa ni?ce, et, avec une gravit? admirable et un air de paix profonde, il mit un frein aux cris et aux pleurs f?minins qui commen?aient �� retentir dans toute la maison. Son autorit? sur ces femmes fut d'une telle efficacit?, qu'�� partir de cet instant, et m?me au moment o�� le cadavre fut emport? hors de la maison, l'on ne vit ou l'on n'entendit rien de. leur part qui s'?cart?t le moins du monde de ce qui a lieu, dans les familles les plus r?gl?es, pour les morts les plus pr?vues. Quant au cardinal Montalto lui-m?me, personne ne put surleur la plus simple; rien ne fut chang? dans l'ordre et l'apparence ext?rieure de sa vie. Rome en fut bient��t convaincue, elle qui observait avec sa curiosit? ordinaire les moindres mouvements d'un homme si profond?ment offens?.
Il arriva par hasard que, le lendemain m?me de la mort de F?lix, le consistoire (des cardinaux) ?tait convoqu? au Vatican. Il n'y eut pas d'homme dans toute la ville qui ne pens?t que pour ce premier jour, �� tout le moins, le cardinal Montalto s'exempterait de cette fonction' publique. L��, en effet, il devait para?tre sous les yeux de tant et de si curieux t?moins! On observerait les moindres mouvements de cette faiblesse naturelle, et toutefois si convenable �� celer chez un personnage qui d'une place ?minente aspire �� une plus ?minente encore; car tout le monde conviendra qu'il n'est pas convenable que celui qui ambitionne de s'?lever au-dessus de tous les autres hommes se montre ainsi homme comme les autres.
Mais les personnes qui avaient ces id?es se tromp?rent doublement, car d'abord, selon sa coutume, le cardinal Montalto fut des premiers �� para?tre dans la salle du consistoire, et ensuite il fut impossible aux plus clairvoyants de d?couvrir en lui un signe quelconque de sensibilit? humaine. Au contraire, par ses r?ponses �� ceux de ses coll?gues qui, �� propos d'un ?v?nement si cruel, cherch?rent �� lui pr?senter des paroles de consolation, il sut frapper tout le monde d'?tonnement. La constance et l'apparente immobilit? de son ?me au milieu d'un si atroce malheur devinrent aussit��t l'entretien de la ville.
Bien est-il vrai que dans ce m?me consistoire quelques hommes, plus exerc?s dans l'art des cours, attribu?rent cette apparente insensibilit? non �� un d?faut de sentiment, mais �� beaucoup de dissimulation; et cette mani?re de voir fut bient��t apr?s partag?e par la multitude des courtisans, car il ?tait utile de ne pas se montrer trop profond?ment bless? d'une offense dont sans doute l'auteur ?tait puissant, et pouvait plus tard peut-?tre barrer le chemin �� la dignit? supr?me.
Quelle que f�Ct la cause de cette insensibilit? apparente et compl?te, un
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