Vingt ans après | Page 4

Alexandre Dumas, père
de la misère du peuple.
Ce n’est pas tout; le 11, la reine allant à la messe à Notre-Dame, ce
qu’elle faisait régulièrement tous les samedis, avait été suivie par plus
de deux cents femmes criant et demandant justice. Elles n’avaient, au
reste, aucune intention mauvaise, voulant seulement se mettre à genoux
devant elle pour tâcher d’émouvoir sa pitié; mais les gardes les en
empêchèrent, et la reine passa hautaine et fière sans écouter leurs
clameurs.
L’après-midi, il y avait eu conseil de nouveau; et là on avait décidé que
l’on maintiendrait l’autorité du roi: en conséquence, le parlement fut
convoqué pour le lendemain, 12.
Ce jour, celui pendant la soirée duquel nous ouvrons cette nouvelle
histoire, le roi, alors âgé de dix ans, et qui venait d’avoir la petite vérole,
avait, sous prétexte d’aller rendre grâce à Notre-Dame de son
rétablissement, mis sur pied ses gardes, ses Suisses et ses
mousquetaires, et les avait échelonnés autour du Palais-Royal, sur les
quais et sur le Pont-Neuf, et, après la messe entendue, il était passé au
parlement, où, sur un lit de justice improvisé, il avait non seulement
maintenu ses édits passés, mais encore en avait rendu cinq ou six
nouveaux, tous, dit le cardinal de Retz, plus ruineux les uns que les

autres. Si bien que le premier président, qui, on a pu le voir, était les
jours précédents pour la cour, s’était cependant élevé fort hardiment sur
cette manière de mener le roi au Palais pour surprendre et forcer la
liberté des suffrages.
Mais ceux qui surtout s’élevèrent fortement contre les nouveaux impôts,
ce furent le président Blancmesnil et le conseiller Broussel.
Ces édits rendus, le roi rentra au Palais-Royal. Une grande multitude de
peuple était sur sa route; mais comme on savait qu’il venait du
parlement, et qu’on ignorait s’il y avait été pour y rendre justice au
peuple ou pour l’opprimer de nouveau, pas un seul cri de joie ne
retentit sur son passage pour le féliciter de son retour à la santé. Tous
les visages, au contraire, étaient mornes et inquiets; quelques-uns
même étaient menaçants.
Malgré son retour, les troupes restèrent sur place: on avait craint qu’une
émeute n’éclatât quand on connaîtrait le résultat de la séance du
parlement: et, en effet, à peine le bruit se fut-il répandu dans les rues
qu’au lieu d’alléger les impôts, le roi les avait augmentés, que des
groupes se formèrent et que de grandes clameurs retentirent, criant: «À
bas le Mazarin! vive Broussel! vive Blancmesnil!» car le peuple avait
su que Broussel et Blancmesnil avaient parlé en sa faveur; et quoique
leur éloquence eût été perdue, il ne leur en savait pas moins bon gré.
On avait voulu dissiper ces groupes, on avait voulu faire taire ces cris,
et, comme cela arrive en pareil cas, les groupes s’étaient grossis et les
cris avaient redoublé. L’ordre venait d’être donné aux gardes du roi et
aux gardes suisses, non seulement de tenir ferme, mais encore de faire
des patrouilles dans les rues Saint-Denis et Saint-Martin, où ces
groupes surtout paraissaient plus nombreux et plus animés, lorsqu’on
annonça au Palais-Royal le prévôt des marchands.
Il fut introduit aussitôt: il venait dire que si l’on ne cessait pas à
l’instant même ces démonstrations hostiles, dans deux heures Paris tout
entier serait sous les armes.
On délibérait sur ce qu’on aurait à faire, lorsque Comminges, lieutenant
aux gardes, rentra ses habits tout déchirés et le visage sanglant. En le
voyant paraître, la reine jeta un cri de surprise et lui demanda ce qu’il y
avait.
Il y avait qu’à la vue des gardes, comme l’avait prévu le prévôt des
marchands, les esprits s’étaient exaspérés. On s’était emparé des

cloches et l’on avait sonné le tocsin. Comminges avait tenu bon, avait
arrêté un homme qui paraissait un des principaux agitateurs, et, pour
faire un exemple avait ordonné qu’il fût pendu à la croix du Trahoir. En
conséquence, les soldats l’avaient entraîné pour exécuter cet ordre.
Mais aux halles, ceux-ci avaient été attaqués à coups de pierres et à
coups de hallebarde; le rebelle avait profité de ce moment pour
s’échapper, avait gagné la rue des Lombards et s’était jeté dans une
maison dont on avait aussitôt enfoncé les portes.
Cette violence avait été inutile, on n’avait pu retrouver le coupable.
Comminges avait laissé un poste dans la rue, et avec le reste de son
détachement, était revenu au Palais-Royal pour rendre compte à la reine
de ce qui se passait. Tout le long de la route, il avait été poursuivi par
des cris et par des menaces, plusieurs de ses hommes avaient été
blessés de coups de pique et de hallebarde, et lui-même avait été atteint
d’une pierre qui lui fendait le sourcil.
Le récit de Comminges corroborait l’avis du prévôt des marchands, on
n’était pas en
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