à cet
égard, un témoignage capital de la première moitié du IIe siècle. Il est
de Papias, évêque d'Hiérapolis, homme grave, homme de tradition, qui
fut attentif toute sa vie à recueillir ce qu'on pouvait savoir de la
personne de Jésus[21]. Après avoir déclaré qu'en pareille matière il
préfère la tradition orale aux livres, Papias mentionne deux écrits sur
les actes et les paroles du Christ: 1° un écrit de Marc, interprète de
l'apôtre Pierre, écrit court, incomplet, non rangé par ordre
chronologique, comprenant des récits et des discours ([Greek:
lechthenta ê prachthenta]), composé d'après les renseignements et les
souvenirs de l'apôtre Pierre; 2° un recueil de sentences ([Greek: logia])
écrit en hébreu[22] par Matthieu, «et que chacun a traduit comme il a
pu.» Il est certain que ces deux descriptions répondent assez bien à la
physionomie générale des deux livres appelés maintenant «Évangile
selon Matthieu,» «Évangile selon Marc,» le premier caractérisé par ses
longs discours, le second surtout anecdotique, beaucoup plus exact que
le premier sur les petits faits, bref jusqu'à la sécheresse, pauvre en
discours, assez mal composé. Que ces deux ouvrages tels que nous les
lisons soient absolument semblables à ceux que lisait Papias, cela n'est
pas soutenable; d'abord, parce que l'écrit de Matthieu pour Papias se
composait uniquement de discours en hébreu, dont il circulait des
traductions assez diverses, et en second lieu, parce que l'écrit de Marc
et celui de Matthieu étaient pour lui profondément distincts, rédigés
sans aucune entente, et, ce semble, dans des langues différentes. Or,
dans l'état actuel des textes, l'Évangile selon Matthieu et l'Évangile
selon Marc offrent des parties parallèles si longues et si parfaitement
identiques qu'il faut supposer, ou que le rédacteur définitif du premier
avait le second sous les yeux, ou que le rédacteur définitif du second
avait le premier sous les yeux, ou que tous deux ont copié le même
prototype. Ce qui paraît le plus vraisemblable, c'est que, ni pour
Matthieu, ni pour Marc, nous n'avons les rédactions tout à fait
originales; que nos deux premiers évangiles sont déjà des arrangements,
où l'on a cherché à remplir les lacunes d'un texte par un autre. Chacun
voulait, en effet, posséder un exemplaire complet. Celui qui n'avait
dans son exemplaire que des discours voulait avoir des récits, et
réciproquement. C'est ainsi que «l'Évangile selon Matthieu» se trouva
avoir englobé presque toutes les anecdotes de Marc, et que «l'Évangile
selon Marc» contient aujourd'hui une foule de traits qui viennent des
Logia de Matthieu. Chacun, d'ailleurs, puisait largement dans la
tradition évangélique se continuant autour de lui. Cette tradition est si
loin d'avoir été épuisée par les évangiles que les Actes des apôtres et les
Pères les plus anciens citent plusieurs paroles de Jésus qui paraissent
authentiques et qui ne se trouvent pas dans les évangiles que nous
possédons.
Il importe peu à notre objet actuel de pousser plus loin cette délicate
analyse, d'essayer de reconstruire en quelque sorte, d'une part, les Logia
originaux de Matthieu; de l'autre, le récit primitif tel qu'il sortit de la
plume de Marc. Les Logia nous sont sans doute représentés par les
grands discours de Jésus qui remplissent une partie considérable du
premier évangile. Ces discours forment, en effet, quand on les détache
du reste, un tout assez complet. Quant aux récits du premier et du
deuxième évangile, ils semblent avoir pour base un document commun
dont le texte se retrouve tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre, et dont le
deuxième évangile, tel que nous le lisons aujourd'hui, n'est qu'une
reproduction peu modifiée. En d'autres termes, le système de la vie de
Jésus chez les synoptiques repose sur deux documents originaux: 1° les
discours de Jésus recueillis par l'apôtre Matthieu; 2° le recueil
d'anecdotes et de renseignements personnels que Marc écrivit d'après
les souvenirs de Pierre. On peut dire que nous avons encore ces deux
documents, mêlés à des renseignements d'autre provenance, dans les
deux premiers évangiles, qui portent non sans raison le nom
d'«Évangile selon Matthieu» et d'«Évangile selon Marc.»
Ce qui est indubitable, en tous cas, c'est que de très-bonne heure on mit
par écrit les discours de Jésus en langue araméenne, que de bonne heure
aussi on écrivit ses actions remarquables. Ce n'étaient pas là des textes
arrêtés et fixés dogmatiquement. Outre les évangiles qui nous sont
parvenus, il y en eut une foule d'autres prétendant représenter la
tradition des témoins oculaires[23]. On attachait peu d'importance à ces
écrits, et les conservateurs, tels que Papias, y préféraient hautement la
tradition orale[24]. Comme on croyait encore le monde près de finir, on
se souciait peu de composer des livres pour l'avenir; il s'agissait
seulement de garder en son coeur l'image vive de celui qu'on espérait
bientôt revoir dans les nues. De là le peu d'autorité dont jouissent
durant cent cinquante ans les textes évangéliques. On
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