miss Read, ce qui fut le troisième de ses errata; et non-seulement il se rendit coupable d'oubli envers elle, mais il courtisa la ma?tresse de son ami: ce qui fut le quatrième et le dernier de ses errata. S'étant permis à son égard quelques libertés qui furent repoussées, comme il l'avoue, avec un ressentiment convenable, Ralph en fut instruit, et tout commerce d'amitié cessa entre eux. Ralph signifia à Franklin que sa conduite annulait sa créance, le dispensait lui-même de toute gratitude ainsi que de tout payement, et il ne lui restitua jamais les vingt-sept livres sterling (six cent quarante-huit francs) qu'il lui devait.
En réfléchissant aux écarts de ses amis et à ses propres fautes, Franklin changea alors de maximes. Les principes relachés de Collins, de Ralph et du gouverneur Keith, qui l'avaient trompé; l'affaiblissement de ses croyances morales, qui l'avait conduit lui-même à méconna?tre l'engagement contracté envers son frère, à violer le dép?t confié à sa probité par Vernon, à oublier la promesse de souvenir et d'affection faite à miss Read, à tenter la séduction de la ma?tresse de son ami, lui montrèrent la nécessité de règles fixes pour l'esprit, inviolables pour la conduite. ?Je demeurai convaincu, dit-il, que la vérité, la sincérité, l'intégrité dans les transactions entre les hommes étaient de la plus grande importance pour le bonheur de la vie, et je formai par écrit la résolution de ne jamais m'en écarter tant que je vivrais.? Cette résolution, qu'il prit à l'age de dix-neuf ans, il la tint jusqu'à l'age de quatre-vingt-quatre. Il répara successivement toutes ses fautes et n'en commit plus. Il accomplit, d'après des idées raisonnées, des devoirs certains, et s'éleva même jusqu'à la vertu.
Comment y parvint-il? C'est ce que nous allons voir.
CHAPITRE IV
Croyance philosophique de Franklin.--Son art de la vertu.--Son algèbre morale.--Le perfectionnement de sa conduite.
En lisant la Bible et, dans la Bible, le livre des Proverbes, Franklin y avait vu: _La longue vie est dans ta main droite et la fortune dans ta main gauche_. Lorsqu'il examina mieux l'ordre du monde, et qu'il aper?ut les conditions auxquelles l'homme pouvait y conserver la santé et s'y procurer le bonheur, il comprit toute la sagesse de ce proverbe. Il pensa qu'il dépendait, en effet, de lui de vivre longtemps et de devenir riche. Que fallait-il pour cela? Se conformer aux lois naturelles et morales données par Dieu à l'homme.
L'univers est un ensemble de lois. Depuis les astres qui gravitent durant des millions de siècles dans l'espace infini, en suivant les puissantes impulsions et les attractions invariables que leur a communiquées le suprême Auteur des choses, jusqu'aux insectes qui s'agitent pendant quelques minutes autour d'une feuille d'arbre, tous les corps et tous les êtres obéissent à des lois. Ces lois admirables, con?ues par l'intelligence de Dieu, réalisées par sa bonté, entretenues par sa justice, ont introduit le mouvement avec toute sa perfection, répandu la vie avec toute sa richesse, conservé l'ordre avec toute son harmonie, dans l'immense univers. Placé au milieu, mais non au-dessus d'elles, fait pour les comprendre, mais non pour les changer, soumis aux lois matérielles des corps et aux lois vivantes des êtres, l'homme, la plus élevée et la plus compliquée des créatures, a re?u le magnifique don de l'intelligence, le beau privilége de la liberté, le divin sentiment de la justice. C'est pourquoi, intelligent, il est tenu de savoir les lois de l'univers: juste, il est tenu de s'y soumettre; libre, s'il s'en écarte, il en est puni: car on ne saurait les enfreindre, soit dans l'ordre physique, soit dans l'ordre moral, sans subir le chatiment de son ignorance ou de sa faute. La santé ou la maladie, la félicité ou le malheur, dépendent pour lui du soin habile avec lequel il les observe, ou de la dangereuse persévérance avec laquelle il y manque. C'est ce que comprit Franklin.
De la contemplation de l'ordre du monde, remontant à son auteur, il affirma Dieu, et l'établit d'une manière inébranlable dans son intelligence et dans sa conscience. De la nature différente de l'esprit et et de la matière, de l'esprit indivisible et de la matière périssable, il conclut, avec le bon sens de tous les peuples et les dogmes des religions les plus grossières comme les plus épurées, la permanence du principe spirituel, ou l'immortalité de l'ame. De la nécessité de l'ordre dans l'univers, du sentiment de la justice dans l'homme, il fit résulter la récompense du bien et la punition du mal, ou en cette vie ou en une autre. L'existence de Dieu, la survivance de l'ame, la rémunération ou le chatiment des actions, suivant qu'elles étaient conformes ou contraires à la règle morale, acquirent à ses yeux l'autorité de dogmes véritables. Sa croyance naturelle prit la certitude d'une croyance révélée, et il composa, pour son usage personnel, une petite liturgie ou forme de
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