prières, intitulée _Articles de foi et actes de religion_.
A cette religion philosophique il fallait des préceptes de conduite. Franklin se les imposa. Il aspira à une sorte de perfection humaine. ?Je désirais, dit-il, vivre sans commettre aucune faute dans aucun temps, et me corriger de toutes celles dans lesquelles un penchant naturel, l'habitude ou la société pouvaient m'entra?ner.? Mais les résolutions les plus fortes ne prévalent pas tout de suite contre les inclinations et les habitudes. Franklin sentit qu'il faut se vaincre peu à peu et se perfectionner avec art. Il lui parut que la méthode morale était aussi nécessaire à la vertu que la méthode intellectuelle à la science. Il l'appela donc à son secours.
Il fit un dénombrement exact des qualités qui lui étaient nécessaires, et auxquelles il voulait se former. Afin de s'en donner la facilité par la pratique, il les distribua entre elles de fa?on qu'elles se prêtassent une force mutuelle en se succédant dans un ordre opportun. Il ne se borna point à les classer, il les définit avec précision, pour bien savoir et ce qu'il devait faire et ce qu'il devait éviter. En pla?ant sous treize noms les treize préceptes qu'il se proposa de suivre, voici le curieux tableau qu'il en composa:
?Ier. Tempérance. Ne mangez pas jusqu'à vous abrutir, ne buvez pas jusqu'à vous échauffer la tête.
?IIe. Silence. Ne parlez que de ce qui peut être utile à vous ou aux autres.
?IIIe. Ordre. Que chaque chose ait sa place fixe. Assignez à chacune de vos affaires une partie de votre temps.
?IVe. Résolution. Formez la résolution d'exécuter ce que vous devez faire, et exécutez ce que vous aurez résolu.
?Ve. Frugalité. Ne faites que des dépenses utiles pour vous ou pour les autres, c'est-à-dire ne prodiguez rien.
?VIe. Industrie. Ne perdez pas le temps; occupez-vous toujours de quelque objet utile. Ne faites rien qui ne soit nécessaire.
?VIIe. Sincérité. N'employez aucun détour: que l'innocence et la justice président à vos pensées et dictent vos discours.
?VIIIe. Justice. Ne faites tort à personne, et rendez aux autres les services qu'ils ont droit d'attendre de vous.
?IXe. Modération. évitez les extrêmes; n'ayez pas pour les injures le ressentiment que vous croyez qu'elles méritent.
?Xe. Propreté. Ne souffrez aucune malpropreté sur vous, sur vos vêtements, ni dans votre demeure.
?XIe. Tranquillité. Ne vous laissez pas émouvoir par des bagatelles ou par des accidents ordinaires et inévitables.
?XIIe. Chasteté....
?XIIIe. Humilité. Imitez Jésus et Socrate.?
Cette classification des règles d'une morale véritablement usuelle, ne recommandant point de renoncer aux penchants de la nature, mais de les bien diriger; ne conduisant point au dévouement, mais à l'honnêteté; préparant à être utile aux autres en se servant soi-même; propre de tous points à former un homme et à le faire marcher avec droiture et succès dans les voies ardues et laborieuses de la vie; cette classification n'avait rien d'arbitraire pour Franklin. ?Je pla?ai, dit-il, la tempérance la première, parce qu'elle tend à maintenir la tête froide et les idées nettes; ce qui est nécessaire quand il faut toujours veiller, toujours être en garde, pour combattre l'attrait des anciennes habitudes et la force des tentations qui se succèdent sans cesse. Une fois affermi dans cette vertu, le silence deviendrait plus facile; et mon désir étant d'acquérir des connaissances autant que de me fortifier dans la pratique des vertus; considérant que, dans la conversation, on s'instruit plus par le secours de l'oreille que par celui de la langue; désirant rompre l'habitude que j'avais contractée de parler sur des riens, de faire à tout propos des jeux de mots et des plaisanteries, ce qui ne rendait ma compagnie agréable qu'aux gens superficiels, j'assignai le second rang au silence. J'espérai que, joint à l'ordre, qui venait après, il me donnerait plus de temps pour suivre mon plan et mes études. La résolution, devenant habituelle en moi, me communiquerait la persévérance nécessaire pour acquérir les autres vertus; la frugalité et l'industrie, en me soulageant de la dette dont j'étais encore chargé, et en faisant na?tre chez moi l'aisance et l'indépendance, me rendraient plus facile l'exercice de la sincérité, de la justice, etc.?
Sentant donc qu'il ne parviendrait point à se donner toutes ces vertus à la fois, il s'exer?a à les pratiquer les unes après les autres. Il dressa un petit livret où elles étaient toutes inscrites à leur rang, mais où chacune d'elles devait tour à tour être l'objet principal de son observation scrupuleuse durant une semaine[1]. A la fin du jour, il marquait par des croix les infractions qu'il pouvait y avoir faites, et il avait à se condamner ou à s'applaudir, selon qu'il avait noté plus ou moins de manquements à la vertu qu'il se proposait d'acquérir. Il parcourait ainsi en treize semaines les treize vertus dans lesquelles il avait dessein de se fortifier successivement, et répétait quatre fois par an ce salutaire exercice. L'ordre
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