Valentine | Page 5

George Sand
sensible...
--Son coeur, son coeur! sans doute elle a un bon coeur; mais son esprit est si born��! c'est une bont�� toute native, toute v��g��tale, �� la mani��re des l��gumes qui croissent bien ou mal sans en savoir la cause. Que sa coquetterie me d��pla?t! Il me faudra lui donner le bras, la promener, la montrer �� cette f��te, entendre la sotte admiration des uns, le sot d��nigrement des autres! Quel ennui! Je voudrais en ��tre d��j�� revenu!
--Quel singulier caract��re! Savez-vous, B��n��dict, que je ne vous comprends pas? Combien d'autres �� votre place s'enorgueilliraient de se montrer en public avec la plus jolie fille et la plus riche h��riti��re de nos campagnes, d'exciter l'envie de vingt rivaux ��conduits, de pouvoir se dire son fianc��! Au lieu de cela, vous ne vous attachez qu'�� la critique am��re de quelques l��gers d��fauts, communs �� toutes les jeunes personnes de cette classe, dont l'��ducation ne s'est pas trouv��e en rapport avec la naissance. Vous lui faites un crime de subir les cons��quences de la vanit�� de ses parents; vanit�� bien innocente apr��s tout, et dont vous devriez vous plaindre moins que personne.
--Je le sais, r��pondit-il vivement, je sais tout ce que vous allez me dire. Ils ne me devaient rien, ils m'ont tout donn��. Ils m'ont pris, moi, fils de leur fr��re, fils d'un paysan comme eux, mais d'un paysan pauvre, moi orphelin, moi indigent. Ils m'ont recueilli, adopt��, et au lieu de me mettre �� la charrue, comme l'ordre social semblait m'y destiner, ils m'ont envoy�� �� Paris, �� leurs frais; ils m'ont fait faire des ��tudes, ils m'ont m��tamorphos�� en bourgeois, en ��tudiant, en bel esprit, et ils me destinent encore leur fille, leur fille riche, vaniteuse et belle. Ils me la r��servent, ils me l'offrent! Oh! sans doute, ils m'ont aim�� beaucoup, ces parents au coeur simple et prodigue! mais leur aveugle tendresse s'est tromp��e, et tout le bien qu'ils ont voulu me faire s'est chang�� en mal... Maudite soit la manie de pr��tendre plus haut qu'on ne peut atteindre!
B��n��dict frappa du pied; Louise le regarda d'un air triste et s��v��re.
--Est-ce l�� le langage que vous teniez hier, au retour de la chasse, �� ce jeune noble, ignorant et born��, qui niait les bienfaits de l'��ducation et voulait arr��ter les progr��s des classes inf��rieures de la soci��t��? Que de bonnes choses n'avez-vous pas trouv�� �� lui dire pour d��fendre la propagation des lumi��res et la libert�� pour tous de cro?tre et de parvenir! B��n��dict, votre esprit changeant, irr��solu, chagrin, cet esprit qui examine et d��pr��cie tout, m'��tonne et m'afflige. J'ai peur que chez vous le bon grain ne se change en ivraie, j'ai peur que vous ne soyez beaucoup au-dessous de votre ��ducation, ou beaucoup au-dessus, ce qui ne serait pas un moindre malheur.
--Louise, Louise! dit B��n��dict d'une voix alt��r��e, en saisissant la main de la jeune femme.
Il la regarda fixement et avec des yeux humides; Louise rougit et d��tourna les siens d'un air m��content. B��n��dict laissa tomber sa main et se mit �� marcher avec agitation, avec humeur; puis il se rapprocha d'elle et fit un effort pour redevenir calme.
--C'est vous qui ��tes trop indulgente, dit-il. Vous avez v��cu plus que moi, et pourtant je vous crois beaucoup plus jeune. Vous avez l'exp��rience de vos sentiments, qui sont grands et g��n��reux, mais vous n'avez pas ��tudi�� le coeur des autres, vous n'en soup?onnez pas la laideur et les petitesses; vous n'attachez aucune importance aux imperfections d'autrui, vous ne les voyez pas peut-��tre!... Ah! Mademoiselle! Mademoiselle! vous ��tes un guide bien indulgent et bien dangereux...
--Voil�� de singuliers reproches, dit Louise avec une gaiet�� forc��e. De qui me suis-je ��lue le mentor ici? Ne vous ai-je pas toujours dit au contraire que je n'��tais pas plus propre �� diriger les autres que moi-m��me? Je manque d'exp��rience, dites-vous!... Oh! je ne me plains pas de cela, moi!...
Deux larmes coul��rent le long des joues de Louise. Il se fit un instant de silence pendant lequel B��n��dict se rapprocha encore, et se tint ��mu et tremblant aupr��s d'elle. Puis Louise reprit en cherchant �� cacher sa tristesse:
--Mais vous avez raison, j'ai trop v��cu en moi-m��me pour observer les autres �� fond. J'ai trop perdu de temps �� souffrir; ma vie a ��t�� mal employ��e.
Louise s'aper?ut que B��n��dict pleurait. Elle craignait l'imp��tueuse sensibilit�� de ce jeune homme, et, lui montrant la cour, elle lui fit signe d'aller aider son oncle qui attelait lui-m��me �� la patache un gros bidet poitevin; mais B��n��dict ne s'aper?ut pas de son intention.
--Louise! lui dit-il avec ardeur; puis il r��p��ta: Louise! d'un ton plus bas.--C'est un joli nom, dit-il, un nom si simple, si doux! et c'est vous qui le portez! au lieu que ma cousine, si bien faite pour traire les vaches et garder les moutons, s'appelle Ath��na?s! J'ai une
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