Une vie | Page 7

Guy de Maupassant
de le faire bien entrer dans les m��moires: ?Lastique, Jos��phin Lastique.?
Le baron promit de ne pas l'oublier.
Ils reprirent le chemin du chateau.
Comme le gros poisson fatiguait Jeanne, elle lui passa dans les ou?es la canne de son p��re, dont chacun d'eux prit un bout; et ils allaient gaiement en remontant la c?te, bavardant comme deux enfants, le front au vent et les yeux brillants, tandis que la barbue, qui lassait peu �� peu leurs bras, balayait l'herbe de sa queue grasse.

-- II --
Une vie charmante et libre commen?a pour Jeanne. Elle lisait, r��vait et vagabondait, toute seule, aux environs. Elle errait �� pas lents le long des routes, l'esprit parti dans les r��ves; ou bien, elle descendait, en gambadant, les petites vall��es tortueuses, dont les deux croupes portaient, comme une chape d'or, une toison de fleurs d'ajoncs. Leur odeur forte et douce, exasp��r��e par la chaleur, la grisait �� la fa?on d'un vin parfum��; et, au bruit lointain des vagues roulant sur une plage, une houle ber?ait son esprit.
Une mollesse, parfois, la faisait s'��tendre sur l'herbe drue d'une pente; et parfois, lorsqu'elle apercevait tout �� coup, au d��tour du val, dans un entonnoir de gazon, un triangle de mer bleue ��tincelante au soleil, avec une voile �� l'horizon, il lui venait des joies d��sordonn��es, comme �� l'approche myst��rieuse de bonheurs planant sur elle.
Un amour de la solitude l'envahissait dans la douceur de ce frais pays et dans le calme des horizons arrondis, et elle restait si longtemps assise sur le sommet des collines que des petits lapins sauvages passaient en bondissant �� ses pieds.
Elle se mettait souvent �� courir sur la falaise, fouett��e par l'air l��ger des c?tes, toute vibrante d'une jouissance exquise �� se mouvoir sans fatigue, comme les poissons dans l'eau ou les hirondelles dans l'air.
Elle semait partout des souvenirs comme on jette des graines en terre, de ces souvenirs dont les racines tiennent jusqu'�� la mort. Il lui semblait qu'elle jetait un peu de son coeur �� tous les plis de ces vallons.
Elle se mit �� prendre des bains avec passion. Elle nageait �� perte de vue, ��tant forte et hardie, et sans conscience du danger. Elle se sentait bien dans cette eau froide, limpide et bleue, qui la portait en la balan?ant. Lorsqu'elle ��tait loin du rivage, elle se mettait sur le dos, les bras crois��s sur sa poitrine, les yeux perdus dans l'azur profond du ciel que traversait vite un vol d'hirondelle, ou la silhouette blanche d'un oiseau de mer. On n'entendait plus aucun bruit que le murmure ��loign�� du flot contre le galet et une vague rumeur de la terre glissant encore sur les ondulations des vagues, mais confuse, presque insaisissable. Et puis, Jeanne se redressait et, dans un affolement de joie, poussait des cris aigus en battant l'eau de ses deux mains.
Quelquefois, quand elle s'aventurait trop loin, une barque venait la chercher.
Elle rentrait au chateau, pale de faim, mais l��g��re, alerte, du sourire �� la l��vre et du bonheur plein les yeux.
Le baron, de son c?t��, m��ditait de grandes entreprises agricoles; il voulait faire des essais, organiser le progr��s, exp��rimenter des instruments nouveaux, acclimater des races ��trang��res; et il passait une partie de ses journ��es en conversation avec les paysans qui hochaient la t��te, incr��dules �� ses tentatives.
Souvent aussi, il allait en mer avec les matelots d'Yport. Quand il eut visit�� les grottes, les fontaines et les aiguilles des environs, il voulut p��cher comme un simple marin.
Dans les jours de brise, lorsque la voile pleine de vent fait courir sur le dos des vagues la coque joufflue des barques, et que, par chaque bord, tra?ne jusqu'au fond de la mer la grande ligne fuyante que poursuivent les hordes de maquereaux, il tenait dans sa main tremblante d'anxi��t�� la petite corde qu'on sent vibrer sit?t qu'un poisson pris se d��bat.
Il partait au clair de lune pour lever les filets pos��s la veille. Il aimait �� entendre craquer le mat, �� respirer les rafales sifflantes et fra?ches de la nuit; et, apr��s avoir longtemps louvoy�� pour retrouver les bou��es en se guidant sur une cr��te de roche, le toit d'un clocher et le phare de F��camp, il jouissait �� demeurer immobile sous les premiers feux du soleil levant qui faisait reluire, sur le pont du bateau, le dos gluant des larges raies en ��ventail et le ventre gras des turbots.
�� chaque repas, il racontait avec enthousiasme ses promenades; et petite m��re, �� son tour, lui disait combien de fois elle avait parcouru la grande all��e de peuples, celle de droite, contre la ferme des Couillard, l'autre n'ayant pas assez de soleil.
Comme on lui avait recommand�� de ?prendre du mouvement?, elle s'acharnait �� marcher. D��s que la fra?cheur de la nuit s'��tait dissip��e, elle descendait, appuy��e sur le bras de Rosalie, envelopp��e d'une mante et de
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