Une vie | Page 6

Guy de Maupassant
feuilles; puis ils s'enhardirent, devinrent vibrants, joyeux, gagnant de branche en branche, d'arbre en arbre.
Jeanne, soudain, se sentit dans une clart��; et, levant la t��te qu'elle avait cach��e en ses mains, elle ferma les yeux, ��blouie par le resplendissement de l'aurore.
Une montagne de nuages empourpr��s, cach��s en partie derri��re une grande all��e de peuples, jetait des lueurs de sang sur la terre r��veill��e.
Et lentement, crevant les nu��es ��clatantes, criblant de feu les arbres, les plaines, l'oc��an, tout l'horizon, l'immense globe flamboyant parut.
Et Jeanne se sentait devenir folle de bonheur. Une joie d��lirante, un attendrissement infini devant la splendeur des choses noya son coeur qui d��faillait. C'��tait son soleil! son aurore! le commencement de sa vie! le lever de ses esp��rances! Elle tendit les bras vers l'espace rayonnant, avec une envie d'embrasser le soleil; elle voulait parler, crier quelque chose de divin comme cette ��closion du jour; mais elle demeurait paralys��e dans un enthousiasme impuissant. Alors, posant son front dans ses mains, elle sentit ses yeux pleins de larmes; et elle pleura d��licieusement.
Lorsqu'elle releva la t��te, le d��cor superbe du jour naissant avait d��j�� disparu. Elle se sentit elle-m��me apais��e, un peu lasse, comme refroidie. Sans fermer sa fen��tre, elle alla s'��tendre sur son lit, r��va encore quelques minutes et s'endormit si profond��ment qu'�� huit heures elle n'entendit point les appels de son p��re et se r��veilla seulement lorsqu'il entra dans sa chambre.
Il voulait lui montrer l'embellissement du chateau, de son chateau.
La fa?ade qui donnait sur l'int��rieur des terres ��tait s��par��e du chemin par une vaste cour plant��e de pommiers. Ce chemin, dit vicinal, courant entre les enclos des paysans, joignait, une demi- lieue plus loin, la grande route du Havre �� F��camp.
Une all��e droite venait de la barri��re de bois jusqu'au perron. Les communs, petits batiments en caillou de mer, coiff��s de chaume, s'alignaient des deux c?t��s de la cour, le long des foss��s des deux fermes.
Les couvertures ��taient refaites �� neuf; toute la menuiserie avait ��t�� restaur��e, les murs r��par��s, les chambres retapiss��es, tout l'int��rieur repeint. Et le vieux manoir terni portait, comme des taches, ses contrevents frais, d'un blanc d'argent, et ses replatrages r��cents sur sa grande fa?ade grisatre.
L'autre fa?ade, celle o�� s'ouvrait une des fen��tres de Jeanne, regardait au loin la mer, par-dessus le bosquet et la muraille d'ormes rong��s du vent.
Jeanne et le baron, bras dessus, bras dessous, visit��rent tout, sans omettre un coin; puis ils se promen��rent lentement dans les longues avenues de peupliers, qui enfermaient ce qu'on appelait le parc. L'herbe avait pouss�� sous les arbres, ��talant son tapis vert. Le bosquet, tout au bout, ��tait charmant, m��lait ses petits chemins tortueux, s��par��s par des cloisons de feuilles. Un li��vre partit brusquement, qui fit peur �� la jeune fille, puis il sauta le talus et d��tala dans les joncs marins vers la falaise.
Apr��s le d��jeuner, comme Mme Ad��la?de, encore ext��nu��e, d��clarait qu'elle allait se reposer, le baron proposa de descendre jusqu'�� Yport.
Ils partirent, traversant d'abord le hameau d'��touvent, o�� se trouvaient les Peuples. Trois paysans les salu��rent comme s'ils les eussent connus de tout temps.
Ils entr��rent dans les bois en pente qui s'abaissent jusqu'�� la mer en suivant une vall��e tournante.
Bient?t apparut le village d'Yport. Des femmes qui raccommodaient des hardes, assises sur le seuil de leurs demeures, les regardaient passer. La rue inclin��e, avec un ruisseau dans le milieu et des tas de d��bris tra?nant devant les portes, exhalait une odeur forte de saumure. Les filets bruns, o�� restaient, de place en place, des ��cailles luisantes pareilles �� des pi��cettes d'argent, s��chaient entre les portes des taudis d'o�� sortaient les senteurs des familles nombreuses grouillant dans une seule pi��ce.
Quelques pigeons se promenaient au bord du ruisseau, cherchant leur vie.
Jeanne regardait tout cela qui lui semblait curieux et nouveau comme un d��cor de th��atre.
Mais, brusquement, en tournant un mur, elle aper?ut la mer, d'un bleu opaque et lisse, s'��tendant �� perte de vue.
Ils s'arr��t��rent, en face de la plage, �� regarder. Des voiles, blanches comme des ailes d'oiseaux, passaient au large. �� droite comme �� gauche, la falaise ��norme se dressait. Une sorte de cap arr��tait le regard d'un c?t��, tandis que, de l'autre, la ligne des c?tes se prolongeait ind��finiment jusqu'�� n'��tre plus qu'un trait insaisissable.
Un port et des maisons apparaissaient dans une de ces d��chirures prochaines; et de tous petits flots, qui faisaient �� la mer une frange d'��cume, roulaient sur le galet avec un bruit l��ger.
Les barques du pays, hal��es sur la pente de cailloux ronds, reposaient sur le flanc, tendant au soleil leurs joues rondes vernies de goudron. Quelques p��cheurs les pr��paraient pour la mar��e du soir.
Un matelot s'approcha pour offrir du poisson, et Jeanne acheta une barbue qu'elle voulait rapporter elle-m��me aux Peuples.
Alors l'homme proposa ses services pour des promenades en mer, r��p��tant son nom coup sur coup afin
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