Une vie | Page 4

Guy de Maupassant
cette all��e. Tout au fond, �� droite, ��tait l'appartement de Jeanne. Ils y entr��rent. Le baron venait de le faire remettre �� neuf, ayant employ�� simplement des tentures et des meubles rest��s sans usage dans les greniers.
Des tapisseries d'origine flamande, et tr��s vieilles, peuplaient ce lieu de personnages singuliers.
Mais, en apercevant son lit, la jeune fille poussa des cris de joie. Aux quatre coins, quatre grands oiseaux de ch��ne, tout noirs et luisants de cire, portaient la couche et paraissaient en ��tre les gardiens. Les c?t��s repr��sentaient deux larges guirlandes de fleurs et de fruits sculpt��s; et quatre colonnes finement cannel��es, que terminaient des chapiteaux corinthiens, soulevaient une corniche de roses et d'Amours enroul��s.
Il se dressait, monumental, et tout gracieux cependant malgr�� la s��v��rit�� du bois bruni par le temps.
Le couvre-pied et la tenture du ciel de lit scintillaient comme deux firmaments. Ils ��taient faits d'une soie antique d'un bleu fonc�� qu'��toilaient, par places, de grandes fleurs de lis brod��es d'or.
Quand elle l'eut bien admir��, Jeanne, ��levant sa lumi��re, examina les tapisseries pour en comprendre le sujet.
Un jeune seigneur et une jeune dame habill��s en vert, en rouge et en jaune, de la fa?on la plus ��trange, causaient sous un arbre bleu o�� m?rissaient des fruits blancs. Un gros lapin de m��me couleur broutait un peu d'herbe grise.
Juste au-dessus des personnages, dans un lointain de convention, on apercevait cinq petites maisons rondes, aux toits aigus; et l��- haut, presque dans le ciel, un moulin �� vent tout rouge.
De grands ramages, figurant des fleurs, circulaient dans tout cela.
Les deux autres panneaux ressemblaient beaucoup au premier, sauf qu'on voyait sortir des maisons quatre petits bonshommes v��tus �� la fa?on des Flamands et qui levaient les bras au ciel en signe d'��tonnement et de col��re extr��mes.
Mais la derni��re tenture repr��sentait un drame. Pr��s du lapin qui broutait toujours, le jeune homme ��tendu semblait mort. La jeune dame, le regardant, se per?ait le sein d'une ��p��e, et les fruits de l'arbre ��taient devenus noirs.
Jeanne renon?ait �� comprendre quand elle d��couvrit dans un coin une bestiole microscopique, que le lapin, s'il e?t v��cu, aurait pu manger comme un brin d'herbe. Et cependant c'��tait un lion.
Alors elle reconnut les malheurs de Pyrame et de Thysb��; et, quoiqu'elle sour?t de la simplicit�� des dessins, elle se sentit heureuse d'��tre enferm��e dans cette aventure d'amour qui parlerait sans cesse �� sa pens��e des espoirs ch��ris, et ferait planer chaque nuit, sur son sommeil, cette tendresse antique et l��gendaire.
Tout le reste du mobilier unissait les styles les plus divers. C'��taient ces meubles que chaque g��n��ration laisse dans la famille et qui font des anciennes maisons des sortes de mus��es o�� tout se m��le. Une commode Louis XIV superbe, cuirass��e de cuivres ��clatants, ��tait flanqu��e de deux fauteuils Louis XV encore v��tus de leur soie �� bouquets. Un secr��taire en bois de rose faisait face �� la chemin��e qui pr��sentait, sous un globe rond, une pendule de l'Empire.
C'��tait une ruche de bronze, suspendue par quatre colonnes de marbre au-dessus d'un jardin de fleurs dor��es. Un mince balancier sortant de la ruche, par une fente allong��e, promenait ��ternellement sur ce parterre une petite abeille aux ailes d'��mail.
Le cadran ��tait en fa?ence peinte et encadr�� dans le flanc de la ruche.
Elle se mit �� sonner onze heures. Le baron embrassa sa fille, et se retira chez lui.
Alors, Jeanne, avec regret, se coucha.
D'un dernier regard elle parcourut sa chambre, et puis ��teignit sa bougie. Mais le lit, dont la t��te seule s'appuyait �� la muraille, avait une fen��tre sur sa gauche, par o�� entrait un flot de lune qui r��pandait �� terre une flaque de clart��.
Des reflets rejaillissaient aux murs, des reflets pales caressant faiblement les amours immobiles de Pyrame et de Thysb��.
Par l'autre fen��tre, en face de ses pieds, Jeanne apercevait un grand arbre tout baign�� de lumi��re douce. Elle se tourna sur le c?t��, ferma les yeux, puis, au bout de quelque temps, les rouvrit.
Elle croyait se sentir encore secou��e par les cahots de la voiture dont le roulement continuait dans sa t��te. Elle resta d'abord immobile, esp��rant que ce repos la ferait enfin s'endormir; mais l'impatience de son esprit envahit bient?t tout son corps.
Elle avait des crispations dans les jambes, une fi��vre qui grandissait. Alors elle se leva, et, nu-pieds, nu-bras, avec sa longue chemise qui lui donnait l'aspect d'un fant?me, elle traversa la mare de lumi��re r��pandue sur son plancher, ouvrit sa fen��tre et regarda.
La nuit ��tait si claire qu'on y voyait comme en plein jour; et la jeune fille reconnaissait tout ce pays, aim�� jadis dans sa premi��re enfance.
C'��tait d'abord, en face d'elle, un large gazon, jaune comme du beurre sous la lumi��re nocturne. Deux arbres g��ants se dressaient aux pointes, devant le chateau, un platane au nord, un tilleul au sud.
Tout au bout de la grande ��tendue
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