Une politique europèenne : la France, la Russie, lAllemagne et la guerre au Transvaal | Page 7

Etienne Grosclaude

[Note 2: Revue de Paris, n° des 1er, 15 octobre et 1er novembre.]
Après une vaine tentative pour enlever aux Hollandais leur florissante
colonie du cap de Bonne-Espérance, en 1786,--attentat vivement châtié
par le bailli de Suffren au combat du Cap-Vert,--l'Angleterre profita de
la Révolution française pour s'y insinuer adroitement, mais c'était cette
fois-là dans l'honorable dessein de la conserver à la Hollande, car la
politique anglaise est un peu comme le sabre de M. Prudhomme «pour
défendre ses amis, et au besoin pour les combattre». Elle la conserva si

bien qu'elle l'a gardée jusqu'à ce jour.
Tous ses efforts s'appliquèrent dès lors à rendre le séjour intolérable
aux Boers, peuple de paysans, comme le nom l'indique, formé des
colons des Provinces-Unies (la Compagnie hollandaise s'était installée
auprès de Mount-Table en 1848) avec un fort apport de calvinistes
français, jetés hors de leur pays par la révocation de l'Édit de Nantes.
Le général Joubert est un descendant de ceux-ci, et une infinité d'autres
noms français subsistent au Transvaal. Reconnaissant la vie impossible
pour eux sous la domination anglaise, les Boers, s'éloignant du rivage,
franchirent le seuil montagneux et longtemps ils errèrent avec leurs
troupeaux à travers la lande sud-africaine, dans la vaillante rudesse et la
pastorale frugalité des Hébreux en Chanaan. Ce fut le grand trekk de
1833, où figurait Krüger adolescent. Dans leur lutte incessante contre
les animaux, dont les plus redoutables et les plus abondants étaient les
Cafres et les Zoulous (le Hottentot est paisible), la race fut vite aguerrie,
puis les Anglais se chargèrent de l'amener progressivement à une
véritable perfection dans l'art de la guerre contre les armes européennes.
En 1848, on la pourchasse, on la défait à la bataille de Boomplatz et on
prétend imposer la souveraineté britannique sur la région de
l'Orange-River; pour échapper à une domination odieuse, les Boers les
plus vaillants s'en vont au delà du Natal, sous la conduite de Pretorius,
retrouver les hardis pionniers qui disputaient à la férocité des Matébélés
cette marche sud-africaine, où le sol du Witwatersrand, exploité
aujourd'hui jusqu'à plus de trois mille pieds par la plus rémunératrice
industrie qui soit au monde, était alors foulé par des lions et par des
rhinocéros. Combattant d'un côté les noirs et de l'autre les Anglais, les
Boers eurent bientôt démontré à ceux-ci que le nouveau peuple d'Israël
ne se laisserait pas réduire en servitude, et le gouvernement britannique
prit le parti de reconnaître, au traité de Sand-River (1852), la
République sud-africaine du Transvaal.
On n'attribuait alors à ces terres sauvages pas plus de valeur que lord
Salisbury n'en accordait à ces sables dans lesquels, selon son
impertinente appréciation, le coq gaulois se plaît à picorer. Un beau
jour, il se trouva des diamants à Kimberley, chez les Boers de l'Orange:
presque aussitôt la région de Kimberley était annexée à la Couronne

(1871). On découvrit peu après les mines d'or du Rand; le Transvaal
prit aussitôt le plus vif intérêt aux yeux de l'Angleterre qui se l'annexa
sans autre forme de procès (1877), et, il faut le dire aussi, sans
résistance effective des Boers, épuisés de forces et de ressources par
leurs luttes meurtrières contre les peuplades noires sur lesquelles ils
avaient conquis ce pays. Le commissaire anglais Shepstone n'eut qu'à
se montrer pour prendre possession, par ordre du gouverneur général du
Cap, sir Bartle Frère, dont la déclaration fut confirmée l'an suivant par
son successeur lord Wolseley, au mépris du traité de 1852. L'Angleterre
triomphait.
Elle a déchanté depuis ce temps. Après de vains et persistants efforts
pour obtenir justice à Londres, les Boers, exaspérés par l'intolérance
maladroite des fonctionnaires locaux, comprirent qu'il n'y avait à
compter que sur la force; dans une réunion solennelle des burghers à
Pardekraal, le 16 décembre 1880, ils mirent à leur tête le triumvirat
Krüger, Brand et Joorissen, qui confia la direction des opérations
militaires au général Joubert. Les Anglais furent battus à Potchefstroom,
les passes du Drakenberg furent occupées sur la frontière du Natal et
les journées de Laings Neck et d'Iniogo, suivies de la double victoire de
Majuba-Hill, mirent en déroute l'armée du général sir Pomeroy Colley,
qui fut trouvé parmi les morts. Le bruit courut qu'il s'était brûlé la
cervelle.
Des droits que l'on défendait avec une telle vigueur d'argumentation
étaient dignes de l'attention du gouvernement anglais; il le comprit tout
de suite, étant de ceux-là qui pensent que bon accommodement est
préférable à mauvais procès, et l'accommodement fut tout à son
avantage, car, à la faveur d'un ingénieux artifice diplomatique, il
maintenait le protectorat sur le peuple qui venait d'infliger un si rude
échec à son protecteur. Les Boers protestèrent là contre, tant et si bien,
qu'à la suite de la mission en Europe de MM. Krüger, devenu président
de la République, Jacob du Toit et général Smit, lord Derby, devant
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