désastreuse. Il ne faut
pas s'y tromper, Robert est une nature féminine, capable de grandes
choses ou de très vilaines choses, selon qu'il sera poussé dans un sens
ou dans un autre. Par certains côtés, il tient de sa mère; mais sa mère a
été la meilleure des femmes, la plus tendre et la plus digne; tandis que
je ne sais pas ce qu'il sera; il y a en lui des coins sombres et mystérieux
qui ne m'ont jamais rien dit de bon. Ah! si j'avais pu m'occuper de son
enfance! Mais était-ce possible avec ma vie? Si j'avais pu surveiller sa
jeunesse! En tous cas, il faut, pour le moment, que nous cherchions
quelle est cette femme, sa maîtresse, et que nous ne le laissions pas
aller plus loin dans la voie où elle l'a amené et où elle le pousse. Tu
m'aideras.
Ce n'était point l'habitude de M. Charlemont de parler si longuement et
sur ce ton; il fallait vraiment que ce que Fourcy lui avait dit et le
compte qu'il lui avait montré l'eût ému plus profondément qu'il ne se
laissait ordinairement toucher.
Mais il ne resta pas sous cette impression, car il avait horreur de ce qui
le troublait ou l'affectait péniblement, et il cherchait toujours à s'en
débarrasser aussi vite que possible.
--Et chez toi comment vont les choses? dit-il en homme qui veut
changer le sujet de l'entretien; tu es toujours content de Lucien et de
Marcelle?
--Aussi content que peut l'être le père le plus exigeant. Pour le travail et
pour tout, Lucien m'a satisfait pleinement; depuis un an bientôt qu'il est
dans cette maison, on n'a pas eu un reproche à lui adresser; et je ne l'ai
pas traité avec l'indulgence d'un père faible, croyez-le-bien.
--Tu vois donc que j'ai eu bien raison de combattre ton idée d'École
polytechnique.
--Ce n'était pas mon idée, c'était celle de Lucien, et c'était parce que je
voyais en lui une sorte de vocation pour la science que j'avais scrupule
de la contrarier.
--La vocation de ne rien faire, je comprends cela, mais la vocation du
travail, du travail ingrat, du travail pour le travail lui-même, c'est trop
naïf; où l'Ecole polytechnique aurait-elle conduit Lucien? à mourir de
faim dans quelque fonction honorable. Je le veux bien, mais misérable;
heureusement que madame Fourcy, qui est un esprit pratique, a compris
cela et tandis que je te faisais de l'opposition de mon côté, elle t'en
faisait du sien, de sorte que nous l'avons emporté; voilà Lucien dans la
maison: il y fera son chemin comme tu y as fait le tien, et il sera pour
Robert ce que tu as été pour moi: nous y trouverons tous notre compte.
Lucien ne se plaint pas?
--Certes non.
--Voilà ce que c'est que la vocation; à douze ans, on a la vocation de la
marine pour Robinson; à quinze ans on a celle de l'École polytechnique
pour le manteau et l'épée; mais à vingt, un peu plus tôt, un peu plus tard,
on commence à comprendre qu'il n'y a qu'une chose dans la vie: gagner
de l'argent, et que la plus belle profession est celle qui nous en fait
gagner davantage et le plus vite possible.
--Ce n'est pas à ce point de vue que Lucien se place.
--Je pense bien, mais il est en bon chemin, il y arrivera; je suis
tranquille pour lui; et Marcelle? son mariage?
--Les choses en sont toujours au même point.
--C'est étrange; comment votre marquis italien ne met-il pas plus
d'empressement à épouser une belle fille telle que la tienne?
--Rien ne presse, Marcelle n'a que dix-huit ans, et sa mère aussi bien
que moi nous désirons ne pas la marier trop jeune; pour mon compte,
j'aurais voulu ne pas la marier avant qu'elle eût atteint la vingtième
année; c'était une date que je m'étais fixée, non par égoïsme paternel,
non pour l'avoir plus longtemps à moi, bien que je l'aime tendrement,
vous le savez, et que la pensée d'une séparation me soit cruelle, mais
pour elle, dans son intérêt; aussi ai-je vu avec chagrin le marquis Collio
la rechercher, en même temps que j'ai vu avec regret Marcelle se
montrer sensible aux attentions du marquis. Maintenant le marquis ne
parle pas de mariage et ne m'adresse point une demande formelle, c'est
tant mieux; ma femme et moi nous sommes heureux de gagner du
temps; nous ne voyons aucun inconvénient à ce que le marquis fasse
longuement sa cour; nous apprenons ainsi à le mieux connaître; c'est un
charmant garçon; chevaleresque, plein de délicatesse, aussi noble par
les sentiments et le caractère que par la naissance.
--Riche?
--En biens fonds, oui, je le crois, mais ses biens sont grevés de dettes,
c'est cette situation embarrassée qui lui a été léguée par sa famille, mais
qu'il
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