as-tu couché?» il pourrait très bien me répondre: «Et toi?» ce qui serait
quelquefois gênant.
--Il ne se permettrait pas une pareille question.
--Heu, heu; enfin je voulais tout simplement savoir comment il allait,
car pendant cette absence, il ne m'a pas accablé de ses lettres.... Il est
vrai que de mon côté je ne l'ai pas non plus accablé des miennes; pour
tout dire, il me semble qu'il ne m'a pas écrit.
--Dites que vous n'avez pas reçu ses lettres.
--C'est possible; enfin, tu l'as vu pendant cette absence?
--Très souvent, surtout en ces derniers temps, car je vous avoue que j'ai
cherché à l'attirer à Nogent, et, grâce à sa camaraderie avec Lucien, j'ai
réussi; depuis huit jours, il est à la maison et, comme j'ai donné un
congé de quinze jours à Lucien, ils restent tous les deux à se promener
aux environs, à pêcher, à faire du canotage.
--Je suis enchanté de cela, Robert a tout à gagner avec Lucien, car ton
fils est un brave garçon, il est digne de toi.
La figure de Fourcy s'épanouit, non pour le compliment qui lui était
adressé, mais pour celui qui était fait à son fils, dont il était fier; mais
ce sourire de bonheur et d'orgueil paternel ne fut qu'un éclair, son front
se contracta et son regard s'obscurcit; évidemment il était sous le coup
d'une préoccupation pénible.
--Je dois vous expliquer, dit-il, pourquoi j'ai tenu si vivement à attirer
Robert dans mon intérieur et à l'y retenir.
--N'est-ce pas tout naturel? ton fils et le mien ont fait leurs classes
ensemble, ils sont camarades.
--Cette raison ne m'eût pas déterminé si je n'en avais pas eu d'autres
d'un ordre plus élevé, car, par sa position, son nom, sa fortune, Robert
doit vivre dans un autre monde que le nôtre.
--Quelles raisons? Tu m'inquiètes, parle.
Mais, avant de parler, Fourcy chercha un dossier, et, l'ayant trouvé, il
prit une feuille de papier dont un des côtés était occupé par une colonne
de chiffres et il la présenta à M. Charlemont:
--Voici le relevé des sommes qui ont été payées depuis trois mois pour
le compte de Robert; vous voyez le total.
--Bigre!
--Ce n'est pas seulement le total qui est grave, c'est aussi le détail des
sommes payées: Haupois-Daguillon, orfèvre, 5,400 francs; Damain,
joaillier, 17,000 francs, et les autres, que vous pouvez voir en suivant;
évidemment ce ne sont pas là des dépenses excusables ou tout au moins
justifiables chez un jeune nomme de dix-neuf ans.
--D'autant mieux qu'on ne lui connaît pas de maîtresse en titre.
--J'ai dû croire cependant qu'il en avait une, car il n'est pas probable
qu'il achète des bijoux pour lui-même, et il n'est pas probable non plus
que ce soit pour ses dépenses personnelles qu'il ait eu recours aux
usuriers et particulièrement à Carbans qui a ruiné tant de jeunes gens:
Carbans a d'autant plus facilement prêté qu'il sait que dans deux ans
Robert sera mis en possession de son héritage maternel.
--Et que doit-il à Carbans?
--Je n'en sais rien, mais le certain, c'est qu'il est entre les mains de ce
coquin; ce sera à voir au moment de le tirer de là; pour le présent, en
vous attendant, j'ai fait le possible pour l'arracher à la vie de Paris et
l'attirer à Nogent.
--Et tu dis qu'il est resté chez toi?
--Depuis huit jours.
--Sans venir à Paris?
--Sans venir à Paris.
--Voilà vraiment qui ne s'explique que si sa maîtresse est elle-même
absente de Paris en ce moment; car il est évident que c'est cette
maîtresse qui lui fait faire ces dépenses et ces dettes. Maintenant, quelle
est cette femme, voilà l'inquiétant. Il est certain que si c'était une
femme en vue, une femme de théâtre ou une cocotte, on connaîtrait leur
liaison: une de ces femmes n'a pas Robert Charlemont, unique héritier
de la maison Charlemont, pour amant, même en second ou en troisième,
sans que cela se sache. S'il en était ainsi, il n'y aurait pas à s'en
tourmenter, même quand elle l'entraînerait à quelque folie, c'est-à-dire à
de grosses dépenses; on guérit de cette folie-là ou tout au moins on en
change, ce qui est un genre de guérison. Non, ce qui m'inquiète, c'est de
penser que la femme que nous cherchons est une femme du monde, ce
qu'on appelle une honnête femme. Et ce compte d'argent dépensé par
Robert, montre comment elle entend et pratique l'honnêteté.
--C'est impossible.
--Impossible à admettre pour toi, mais non pas impossible dans la
réalité; ce genre de femme se rencontre, je ne dis point à chaque pas,
mais encore très souvent, crois-en l'expérience d'un homme qui connaît
le monde et la vie; c'est là la femme que je crains, car, avec une nature
comme Robert, elle peut exercer une influence
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