bien vos propres paroles...
—Tu as trop de mémoire, enfant.
— On n’en a jamais trop, mon oncle.
— Et puis tu me parais aimer furieusement la philosophie.
— Oh! oui, apprenez-moi cela! s’écria Gilberte en bondissant.
Hélas! elle ne savait pas ce qu’elle demandait à cet homme sans foi, déjà trop disposé à remplir sa petite ame de sophismes mauvais, de principes antireligieux!
"La petite rusée! se disait Simiès en considérant cet adorable visage pur et ouvert; je ne la croyais pas si spirituelle; diable! elle comprend et entend tout, il faudra désormais que je veille sur mes paroles, autrement elle me battra avec mes propres armes."
— Un peu vite, Gilberte, ajouta-t-il en essayant de prendre un ton sévère, pas tant de raisonnements; écrivez: problème 77.
Gilberte saisit la plume à contre-c?ur, et barbouillant quelques numéros:
— Vous n’êtes pas logique avec vous-même, mon oncle, dit-elle en répétant une phrase qu’elle avait entendu dire peu auparavant.
— Dis donc, Gilberte, fit M. Simiès en la regardant à travers son binocle, crois-tu que, en pension, on te permettra de bavarder comme cela au milieu des le?ons?
— D’abord qu’irais-je faire en pension?
— Comment, Mademoiselle, ce que vous irez y faire? Ce qu’y font vos pareilles, qui sont punies quand elles ne travaillent pas et récompensées lorsque c’est le contraire.
— Je ne veux pas aller en pension. Je me sauverai si vous m’y envoyez.
— Pourquoi?
— La pension, c’est une vilaine maison sans air ni lumière, ni soleil, où les jeunes filles se disputent en récréation, où les grandes font des méchancetés aux petites. J’aime mieux rester ici.
Simiès se croisa les bras:
— Vous aimez mieux, c’est possible, mais moi pas.
— C’est bien s?r, mon oncle, puisque vous ne m’enfermeriez là-bas que pour vous débarrasser de moi. Cependant je ne vous gêne pas beaucoup, vous n’envoyez coucher aussit?t après d?ner quand vous recevez vos amis, et vous me faites prendre mes repas dans ma chambre quand vous causez de choses que vous ne voulez pas que j’entende.
"Comment a-t-elle pu deviner cela? pensa Simiès qui n’en revenait pas. Cette enfant a le diable au corps, mais, ma foi! elle m’amuse."
— Ca vous ennuie de me donner des le?ons, poursuivit la fillette avec son imperturbable sang-froid, et je le comprends, ?a n’est pas non plus dr?le d’en recevoir; mais qui vous empêche de me chercher une institutrice pour vous remplacer?
"Elle a réponse à tout, se dit le vieillard. Et, de fait, elle a raison."
— Vous me répétez sans cesse que vous voulez plus tard me voir jeune fille accomplie et femme du monde dans toute l’acception du mot. Comment le deviendrai-je si vous me mettez en cage?
— C’est parbleu vrai.
— Ensuite, je suis jolie...
— Vous êtes jolie? Voyez-vous ?a! s’écria Simiès pouffant de rire. D’abord qui vous l’a dit?
— Tout le monde; et la glace, donc? riposta Gilberte très cranement.
— Peut-être avez-vous mauvais go?t; une petite fille ne doit pas savoir si elle est jolie.
— Cependant, mon oncle, le jour de mon arrivée chez vous, vous m’avez dit que toute femme doit être vaniteuse.
— Mais qu’est-ce que vous deviendrez plus tard, alors, si vous en êtes là aujourd’hui?
— Je ne sais pas, répondit Gilberte avec indifférence.
"Comme je vais amuser les amis ce soir en leur racontant cela! pensait le vieil athée. C’est qu’elle est à croquer, cette petite; c’est un vrai bijou et, ma foi! elle a raison, ce serait dommage si la pension me la rendait gauche et guindée. Enfin, nous réfléchirons."
Et pour clore cet entretien qui devait être une le?on de calcul, Simiès raconta une histoire à la fillette, qui préférait infiniment cela aux problèmes annoncés.
V
— Quelle tuile, mon pauvre ami, quelle tuile!...
— Eh! pas tant que cela.
— Comment, pas tant que cela? Sais-tu que, aussit?t que j’ai appris le malheur qui t’arrivait sous la forme d’une tutelle, j’ai laissé ma banque et mes affaires pour venir t’apporter mes compliments de condoléance?
— Eh bien! je ne suis pas trop à plaindre, répondit Simiès en caressant sa barbe grise.
— Est-ce que tu trouves amusant qu’une petite fille te tombe ainsi du ciel? Je ne te reconnais plus: on m’a changé mon vieil ami Simiès. Donc il te pla?t de remplir le r?le de nourrice, de bonne, de papa, que sais-je! de promener, moucher, dorloter la bambine? Je t’ai mal jugé, mon cher, pardonne-moi.
—Voyons, Félix, laisse-moi m’expliquer: cette tutelle m’a d’abord on ne peut plus mécontenté. Gilberte se montrait sournoise, sérieuse comme une petite nonne...
— Ah! elle se nomme Gilberte?
— Oui, comme sa mère.
— Un joli nom.
— Et qui lui va!
— L’enfant est gentille physiquement?
— Charmante; elle sera ravissante plus tard.
— Blonde, brune?
— Blonde comme de l’or avec des yeux foncés, un teint de lis et de roses.
— Et comme caractère?
— Du lait sucré, les premiers jours, du vinaigre, à présent.
— A quoi tient de changement?
—Je ne sais trop; je n’y comprends rien; peut-être la
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