Une Pupille Genante | Page 9

Roger Dombre
rusée a-t-elle taté le terrain, puis s’est-elle montrée telle qu’elle est réellement dès qu’elle a saisi mes go?ts. J’ai d’abord essayé de la mater, croyant la shlague un moyen infaillible pour dompter les enfants, mais cela n’a pas réussi; la petite est trop résolue pour qu’on la prenne ainsi.
— Enfin que vas-tu en faire?
— Voilà; pour l’instant je ne m’attends pas à ce qu’elle me donne beaucoup de satisfaction; mais plus tard, quand je l’aurai fa?onnée d’après mes principes, que j’en aurai fait un petit philosophe en jupons, bref, quand elle sera femme et non plus fillette, ce me sera une compagnie agréable; elle me distraira. Je ne me suis pas marié, trouvant plus commode la vie de gar?on et parce que je ne me sentais pas de go?t pour les obligations que comporte l’état de père de famille; mais j’avoue que, à présent que je commence à sentir le poids de l’age et des rhumatismes, la société et les soins d’une jeune fille me seront chose précieuse.
— N’as-tu pas pensé, Simiès, que cette petite pourrait te causer quelque ennui, élevée comme elle l’a été par des parents cléricaux, imbus des principes les plus absurdes?
Simiès fit entendre un ricanement aigu en allumant un cigare.
— Tu me crois donc bien sot, Félix? J’ai déjà travaillé à les faire oublier à Gilberte, ces principes; et c’est bien facile, elle n’a pas dix ans. Va, elle ne sera pas depuis six mois sous ma direction qu’elle se montrera une petite voltairienne accomplie, fie-toi à moi.
— Je ne doute nullement de ton habileté, répondit M. Félix qui se leva pour prendre congé de son ami.
Demeuré seul, Simiès rêva quelques minutes en regardant s’élever dans l’air la fumée bleue de son londrès, puis Mme Dutel vint le trouver, ayant à lui demander quelques ordres relatifs au d?ner du soir.
— A propos, Monsieur, ajouta-t-elle sur le point de s’éloigner et revenant sur ses pas, pour quel jour faut-il préparer le trousseau de Mlle Gilberte?
— Le trousseau de Mlle Gilberte? répéta Simiès étonné. Pourquoi faire, le préparer?
— Et pour la pension donc? Monsieur oublie qu’elle y entre le mois prochain.
— Ah! c’est vrai, ma bonne Dutel, j’ai négligé de vous prévenir que j’ai changé d’idée.
— L’enfant va rester ici?
— Oui, répliqua la vieillard un peu embarrassé, le médecin la trouve délicate et...
— C’est-à-dire que Monsieur la trouve amusante à présent qu’elle a le diable au corps. Moi je ne suis pas de cet avis; est-ce que ce matin je n’ai pas rencontré Néro coiffé de mon plus beau bonnet; Monsieur pense-t-il que c’est agréable des choses comme ?a?
—Elle a fait cela?... Ah! j’aurais voulu voir Néro ainsi accoutré! s’écria Simiès en se tordant de rire; ah! ah! ah! la gamine a des inspirations aussi originales?
— D’abord, continua Mme Dutel très piquée, je ne suis pas entrée dans la maison de Monsieur pour y être bonne d’enfant, et...
— Qu’à cela ne tienne, sortez-en, ma bonne Dutel, sortez-en. Je n’aurai plus besoin de vous, d’ailleurs, car je vais donner une institutrice à ma nièce.
— Alors Monsieur me renvoie? demanda la femme de charge qui étouffait de colère à l’idée de perdre une si belle place.
— Nullement; mais vous paraissez si affligée de ce que je garde chez moi l’enfant de mon neveu...
— Moi affligée? Dieu garde! Monsieur me conna?t bien peu: j’adore les petites filles.
— Alors tout est pour le mieux; soignez Gilberte et montrez- vous complaisante avec elle: vous n’aurez pas lieu de vous en repentir.
Rassurée, Mme Dutel quitta la chambre et murmura en s’éloignant:
"Tu mets ?a sur le compte de la santé de la gamine, vieille cervelle détraquée, mais tu trouves à présent du plaisir à voir jouer l’enfant; ?a va aller comme ?a jusqu'à la fin de l’été; puis si, passé cette époque, elle te gêne ou te lasse, tu sauras bien la coffrer sous un prétexte quelconque. Qui vivra verra."
Puis elle annon?a à Gilberte la décision de son oncle; la fillette ne manifesta aucun étonnement.
— Je le savais, répondit-elle tranquillement; j’ai dit à mon oncle qu’il me déplairait de vivre au pensionnat.
— Voilà qu’elle le mène déjà par le bout du nez!... s’écria Mme Dutel en levant ses grands bras au ciel. Qu’est-ce que ?a sera alors dans un an ou deux?
VI
Ainsi fut modifiée l’existence de Gilberte Mauduit: l’enfant douce, pieuse et soumise devint une petite fille indomptée, incroyante et capricieuse. Mais Simiès l’aimait ainsi.
Elle avait en germe dans sa petite ame beaucoup de qualités exquises: il les étouffa; elle avait aussi beaucoup de défauts, non grossiers ni vulgaires, mais dangereux pour cette jeune nature; Simiès les développa.
Il avait, nous le savons, un système à lui pour l’éducation des jeunes filles.
"C’est un vautour couvant une aiglonne", disaient ses amis amusés de voir le vieux Simiès transformé en père de famille.
Ce vautour devait arriver promptement à
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