Une Pupille Genante | Page 4

Roger Dombre
allez bien, ma nièce, déjà femme!
— Y a-t-il du mal à désirer cela? J’aime tout ce qui est beau; je serais désolée d’être laide.
— Bon, voilà pour la coquetterie. Maintenant, êtes-vous gourmande?
— Je ne ferais pas de bassesses pour un bonbon, répondit dédaigneusement Gilberte, seulement...
— Seulement quoi?
— Je n’aime pas beaucoup la soupe et pas du tout les ?ufs brouillés et les épinards.
— Vraiment? eh bien! moi, je vous apprendrai à manger de ces trois choses et vous verrez que, après quelques essais, vous en raffolerez.
L’enfant ne répondit pas, mais sa petite figure exprima l’effroi.
— Ah! encore une question: êtes-vous curieuse?
— Non, mon oncle, maman m’enseignait à être discrète.
— C’est bien, nous verrons cela. Et paresseuse?
— Je ne sais pas... peut-être un peu pour me lever de bonne heure l’hiver.
— Et pour vos études?
— Je ne sais pas encore grand’chose, mais j’aime à apprendre.
— Qu’étudiez-vous?
— La musique, puis le calcul, la grammaire, la géographie, l’histoire, l’anglais et l’allemand, le catéchisme...
Simiès bondit.
— Le catéchisme?... Vous le laisserez de c?té.
— Pourquoi? maman y tenait beaucoup.
— Oui, votre mère était une bigote, murmura le vieillard entre ses dents. Enfin, reprit-il plus haut, je modifierai votre éducation à mon gré désormais. Vous pouvez maintenant aller jouer ou vous reposer comme vous voudrez; Mme Dutel qui couchera près de vous va vous conduire à votre chambre.
Il sonna la femme de charge qui emmena Gilberte.
L’appartement destiné à la fillette était agréable, car Simiès aimait le luxe partout autour de lui; rose et blanc avec de soyeux rideaux au lit et à la fenêtre, des fleurs fra?ches dans des cornets de cristal, un tapis moelleux, un feu clair dans la cheminée, une température douce et égale, des meubles élégants; le regard charmé de Gilberte inspecta les murailles qu’ornaient quelques tableaux représentant des sujets mythologiques ou des membres de la famille Simiès.
— Il n’y a pas de bon Dieu ici, fit-elle très grave.
— Oh! ce n’est pas de ces choses-là qu’il faut chercher chez nous, ma petite demoiselle, répondit Mme Dutel, bonne femme au fond, mais absolument nulle et platement soumise aux idées de son ma?tre.
— Pourquoi?
— Dame, parce que Monsieur ne croit pas à la religion.
— Comment ferai-je ma prière?
— Je ne sais pas; il ne faut toujours pas parler de ?a à votre oncle, il se facherait.
— Pourquoi? demanda de nouveau l’enfant.
— Pourquoi? eh! parce que ?a lui dépla?t. Est-elle dr?le, cette petite, avec ses pourquoi? Je pense bien qu’elle ne va pas me questionner comme cela sur tout, grommela tout bas la vieille femme.
Gilberte soupira et se laissa enlever ses vêtements de sortie sans plus parler.
Le d?ner sonna; elle se rendit à la salle à manger, un peu triste et fatiguée d’une journée de voyage.
Ce soir-là son oncle ne la tourmenta pas, et, voyant qu’elle s’endormait sur sa chaise, il ordonna qu’on l’emportat pour la coucher, ce que fit Lazare avec des précautions presque maternelles; le brave gar?on était le seul peut-être en cette étrange demeure, qui con??t pour l’orpheline une pitié sincère.
Gilberte dormit comme dorment les enfants de son age, d’un sommeil profond et doux, et sa mère, remontée là-haut, dut laisser tomber une larme sur ce front d’ange qui allait perdre sous ce toit impie la divine candeur et la piété na?ve qui semblaient jusqu’à présent innées en sa petite ame.
III
— Non, je n’aime pas mon oncle, disait Gilberte en secouant sa tête blonde avec mélancolie.
— Pourquoi? demanda à son tour Lazare en frottant énergiquement son argenterie tandis que la petite fille le regardait faire avec distraction.
— Parce que... parce que... je ne sais pas; il est si différent de mon pauvre papa.
— Il est cependant bon pour vous quelquefois, à sa manière.
— Oui, à sa manière, répéta Gilberte.
— Est-ce qu’il vous fait peur? demanda Lazare en secouant sa peau de chamois.
Gilberte allongea ses lèvres roses:
— Non, sauf quand il se met en colère. Papa se fachait quelquefois, lui aussi, mais sans crier comme mon oncle. Et puis mon oncle il dit des choses, des choses enfin qui sont tout le contraire de ce que disait maman.
— En fait de religion sans doute?
— Oui, en fait de religion. Est-ce que vous pensez comme mon oncle, vous, Lazare?
— Dame, Mam’zelle, Monsieur est si savant; autrefois, moi, je croyais comme vous; à présent ?a a changé. Monsieur m’a dit tant de fois que j’étais un imbécile auparavant.
— Ah!
Et Gilberte rêva quelques minutes sur ces paroles, son fin menton blanc dans sa petite main délicate.
— Est-ce que vous vous plaisez à Paris? reprit Lazare pour rompre le silence.
— Je suis si peu sortie encore! répondit l’enfant.
— Dame, Mam’zelle, vous vous êtres enrhumée et vous n’avez pu beaucoup vous promener. C’est tout de même une chance, allez, cette bronchite qui vous tient là; sans elle, vous entriez en pension tout droit.
— C’est joli, ici, dit Gilberte qui
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 62
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.