manque pas ici. Certes, j’y aurais pensé plus tard, mais j’étais si troublé! Je suis sauvé; le lendemain même de son arrivée, j’y mettrai Gilberte. Ah! quelle bénédiction! il faut que dès aujourd’hui je m’occupe de cela et cherche une maison convenable où les jeunes filles soient élevées sans les m?meries des couvents qui les rendent ridicules. Lazare, vite mes pantoufles, ma robe de chambre, je veux sortir avant midi; tu diras à Philippe d’atteler dans une demi-heure.
Rentré en grace, Lazare habilla son ma?tre, puis il alla conter à la cuisine l’événement qui survenait à la maison et qui fit ouvrir de grands yeux à Philippe, à Césarine et à Mme Dutel, la femme de charge.
II
Simiès lisait le Quotidien au coin d’un magnifique feu de bois, les pieds sur les chenets, chaussé de bonnes pantoufles, vêtu d’une splendide robe de chambre fourrée, et tout en fumant un cigare exquis il applaudissait aux inepties de son journal préféré.
La porte s’ouvrit et Mme Dutel poussa devant elle une mignonne fillette en s’écriant d’une voix nasillarde:
— Voilà l’enfant, Monsieur; le voyage s’est bien accompli, mais la petite demoiselle a d? avoir un peu froid, car elle est pale et elle n’a pas voulu manger en route.
— C’est bien, Madame Dutel, à présent laissez-nous.
La femme de charge obéit et Simiès demeura seul avec la fillette qui le regardait craintivement à travers le nuage de cheveux d’or qui lui couvrait le front.
Elle était blanche comme un lis dans ses vêtements de deuil, mais elle ne semblait pas intimidée en entrant dans cette maison inconnue, et elle se tenait sérieuse, droite comme un cierge.
— Bonjour, mon oncle, dit-elle en tendant sa petite main gantée à M. Simiès et sa voix résonna claire et mélodieuse comme un chant.
— Bonjour, Gilberte, répondit Simiès en effleurant de ses moustaches grises le front pur de la fillette.
Elle le regarda de nouveau, fixement, de ses grands yeux noirs, un peu sombres et poursuivit:
— C’est vous qui êtes mon tuteur?
— Oui, c’est moi.
— Qu’est-ce que c’est, un tuteur?
— Celui qui a droit sur vous à la place de votre père et de votre mère.
— A la place de papa et de maman?
L’enfant pronon?a ces mots d’un accent intraduisible et ses prunelles de diamant se voilèrent au souvenir des parents qui n’étaient plus.
Elle reprit:
— Vous ne me les remplacerez jamais.
— Je n’ai pas cette prétention, riposta Simiès un peu piqué; moi je ne vous passerai pas vos caprices, n’y comptez pas. Ils devaient vous gater, vos parents?
— Je ne sais pas, ils me chérissaient comme je les chérissais, voilà tout ce que je peux dire.
Simiès eut un sourire ironique au coin de ses lèvres minces.
— Est-ce que vous seriez sentimentale par hasard, petite fille?
— Sentimentale, qu’est-ce que c’est?
— Au fait, vous ne pouvez comprendre cela, mais je vous guérirai de vos idées ridicules.
— Est-ce donc une idée ridicule que d’aimer ses parents et de se souvenir d’eux s’ils ne sont plus?
— Non certes, mais je vois une chose, c’est qu’on vous a laissée raisonner tant que cela vous plaisait.
— Raisonner? mais oui, tant que ce n’était pas impoli. Maman aimait à savoir ce que je pensais; d’ailleurs elle m’élevait bien.
— Ah! vous ne vous ménagez pas les compliments, vous croyez- vous une petite perfection?
— Oh! non, mon oncle, j’ai bien des défauts.
— Vraiment? et lesquels?
L’enfant parut embarrassée.
— Etes-vous menteuse?
— Oh! mon oncle, s’écria Gilberte indignée, je n’ai jamais menti de ma vie. Mentir, mais c’est affreux!
— Vraiment? fit Simiès avec son éternel ricanement, alors vous n’êtes pas femme.
— Pas femme?
L’enfant ne comprenait pas.
— Eh! oui, vous ne connaissez donc pas cette parole d’un diplomate arrangée plus tard par je ne sais quel homme d’esprit: "La parole a été donnée à la femme pour déguiser sa pensée".
Gilberte ouvrit tout grands ses yeux sombres.
— Vous ne comprenez pas? Quel age avez-vous?
— Neuf ans, répondit Gilberte en redressant sa taille fluette.
— Vous êtes grande pour votre age. Et si l’on vous coupait les cheveux, que diriez-vous?
L’enfant recula d’un pas et ses prunelles flamboyèrent.
— Je ne veux pas!
— Ah! vous êtes coquette?
— Je ne sais pas, mais maman aimait mes cheveux flottants sur mes épaules, je veux les conserver ainsi.
Simiès hocha la tête et étendit la main pour tater la chevelure souple et dorée de la fillette.
— Gardez-les, je ne veux pas vous priver d’une si jolie parure; d’ailleurs, je ne vous gronderai jamais pour être vaniteuse; c’est permis aux petites filles.
— Pourquoi?
— Parce que... mais, au fait, vous n’êtes pas encore à l’age où l’on a du plaisir à être belle. Vous croyez-vous laide?
Gilberte se haussa sur ses petits pieds afin d’apercevoir dans le miroir sa mignonne image.
— On m’a souvent dit que je suis jolie, mais je ne sais pas si c’est vrai.
— Aimeriez-vous à être jolie?
— Oh! oui.
— Eh! eh! ricana le vieillard, vous
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