lit qui n’en pouvait mais et froissait dans ses doigts une lettre lacérée. Son visage, ordinairement rose et empreint d’une expression railleuse, était devenu jaune, marbré de taches foncées; ses yeux verdatres flamboyaient; ses cheveux gris se hérissaient de colère sur le crane légèrement dépouillé au sommet du front.
Simiès n’était pas beau à voir ainsi, lui qui passait en général pour un homme encore agréable à regarder en dépit de son age m?r.
En apercevant son valet de chambre, il l’apostropha rudement:
— Allons, maraud, tête de buse, animal, on ne veut donc pas que je déjeune ce matin?
— Monsieur avait recommandé que son choc...
— Butor! vas-tu raisonner? apporte-moi ?a et plus vite.
Tout tremblant, Lazare obéit.
Lorsque Simiès eut avalé une gorgée du liquide fumant, il s’écria avec un redoublement de fureur:
— Triple brute, à présent tu veux m’ébouillanter! Ne pouvais-tu m’avertir que le chocolat sortait du feu? Assassin, va! J’ai la peau de la langue enlevée; vous l’avez fait exprès; vous voulez ma mort, vous autres idiots. Tiens!
Et, d’un geste violent, Simiès envoya rouler la tasse et son contenu sur le tapis, entre les jambes de l’infortuné Lazare qui se mit à hurler de douleur.
Cela fit rire Simiès et Lazare se calma; au fond il savait que les boutades de ce ma?tre exigeant ne duraient pas et qu’il fallait les supporter; il y avait tant de petits profits à ramasser dans cette maison de célibataire riche! c’e?t été folie de la quitter.
— Tu vas nettoyer le tapis, reprit M. Simiès en indiquant la tache noiratre étalée sur la moquette rouge.
— Monsieur me permettra au moins de changer de pantalon? répondit piteusement Lazare.
— Va! mais fais vite. Il s’imagine que sa peau est br?lée peut-être! ces gens sont si douillets! grommela Simiès en s’allongeant dans son lit avec béatitude.
— Qu’est-ce que Monsieur va prendre à la place de son chocolat? demanda Lazare prêt à sortir.
— Du thé et qu’on ne me fasse pas attendre.
Dix minutes après, Lazare rentrait, la théière sur le plateau, une éponge dans l’autre main pour réparer les méfaits de son ma?tre.
Tout en déjeunant Simiès suivait machinalement de l’?il les évolutions du domestique; puis, soudain, posant la moitié d’une r?tie sur le bord de la soucoupe:
— Dis donc, Lazare, sais-tu la tuile qui me tombe dessus?
— Non, Monsieur, répondit Lazare sans relever la tête.
— Eh bien!... mais écoute donc, imbécile, ton tapis est assez lavé.
Le pauvre gar?on se dressa sur les genoux et demeura bouche béante, l’éponge en suspens.
— Il m’arrive, reprit Simiès, que mon neveu des Antilles, M. Léo, tu sais, est mort.
— Ah!... et Monsieur va hériter sans doute? fit Lazare dont les grosses lèvres s’élargirent dans un vaste sourire.
— Idiot! ce ne serait pas une tuile. Ma nièce sa femme et sa fille revenaient en France à pleines voiles avec moins d’argent dans leur cassette qu’il n’y en a au fond de cette tasse lorsque la première mourut au moment de toucher terre.
— A?e! et la demoiselle alors?
— Voilà: l’enfant est à ma charge à présent, c’est ?a qui est amusant!
— Elle n’a donc pas de parents plus proches que Monsieur?
— Non, quelques cousins éloignés à je ne sais combien de degrés. Je suis son tuteur et son unique soutien, ainsi que le dit en termes pompeux le notaire qui m’écrit.
Dans sa stupéfaction Lazare laissa tomber son torchon et son éponge.
— Alors voilà Monsieur père de famille?
— Parbleu! et c’est ce qui m’enrage.
— Je savais bien que ce n’était pas le chocolat, pensa Lazare. Et, reprit-il tout haut, il va y avoir ici une jeune demoiselle? c’est ?a qui va être dr?le!
Et Lazare se tint les c?tes pour mieux rire.
— Butor, ne ris donc pas ainsi, tu m’agaces les nerfs. Ainsi tu trouves cette idée amusante?
— Dame!
— Mais ce n’est qu’une enfant, une mioche, une galopine enfin de neuf à dix ans, qui va être capricieuse, assommante, pleurnicheuse, tu comprends que je l’envoie à tous les diables; voilà ma bonne petite vie tranquille tout à fait bouleversée.
Et Simiès fit mine de s’arracher quelques cheveux gris, ce qui, vu la position qu’il gardait dans son lit, lui donnait l’air passablement grotesque.
Lazare se leva sur ses longues jambes, et, le visage soudain illuminé par une pensée riante:
— Monsieur oublie que les petites filles, ?a se met au couvent.
— Au couvent? brute que tu es! ma nièce chez des nonnes?
— La langue m’a fourché, Monsieur, je voulais dire à la pension. Y a des établissements la?ques...
— Parbleu! je n’y songeais plus! Certainement qu’il y en a, Paris en regorge, et des lycées aussi pour les fillettes! Où avais-je donc la tête? s’écria Simiès en se remettant sur son séant. Tiens, Lazare, tu es un brave gar?on de me l’avoir rappelé, tu auras vingt francs pour remplacer le pantalon qui a re?u le chocolat. Au fait, des pensions la?ques ?a ne
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