Une Page dAmour | Page 6

Emile Zola
souvenait de rien. Le sommeil la reprenait, et elle se rendormit, en murmurant d'un air tendre:
--Oh! j'ai dodo!... Bonsoir, petite m��re.... S'il est ton ami, il sera le mien.
Le m��decin avait fait dispara?tre sa pharmacie. Il salua silencieusement et se retira. H��l��ne ��couta un instant la respiration de l'enfant. Puis, elle s'oublia, assise sur le bord du lit, les regards et la pens��e perdus. La lampe, laiss��e allum��e, palissait dans le grand jour.

II
Le lendemain, H��l��ne songea qu'il ��tait convenable d'aller remercier le docteur Deberle. La fa?on brusque dont elle l'avait forc�� �� la suivre, la nuit enti��re pass��e par lui aupr��s de Jeanne, la laissaient g��n��e, en face d'un service qui lui semblait sortir des visites ordinaires d'un m��decin. Cependant, elle h��sita pendant deux jours, r��pugnant �� cette d��marche pour des raisons qu'elle n'aurait pu dire. Ces h��sitations l'occupaient du docteur; un matin, elle le rencontra et se cacha comme un enfant. Elle fut tr��s-contrari��e ensuite de ce mouvement de timidit��. Sa nature tranquille et droite protestait contre ce trouble qui entrait dans sa vie. Aussi d��cida-t-elle qu'elle irait remercier le docteur le jour m��me.
La crise de la petite avait eu lieu dans la nuit du mardi au mercredi, et l'on ��tait alors au samedi. Jeanne se trouvait compl��tement remise. Le docteur Bodin, qui ��tait accouru tr��s-inquiet, avait parl�� du docteur Deberle avec le respect d'un pauvre vieux m��decin de quartier pour un jeune confr��re riche et d��j�� c��l��bre. Il racontait pourtant, en souriant d'un air fin, que la fortune venait du papa Deberle, un homme que tout Passy v��n��rait. Le fils avait eu simplement la peine d'h��riter d'un million et demi et d'une client��le superbe. Un gar?on tr��s-fort, d'ailleurs, se hatait d'ajouter le docteur Bodin, et avec lequel il serait tr��s honor�� d'entrer en consultation, au sujet de la ch��re sant�� de sa petite amie Jeanne.
Vers trois heures, H��l��ne et sa fille descendirent et n'eurent que quelques pas �� faire dans la rue Vineuse, pour sonner �� l'h?tel voisin. Toutes deux ��taient encore en grand deuil. Ce fut un valet de chambre en habit et en cravate blanche qui leur ouvrit. H��l��ne reconnut le large vestibule tendu de porti��res d'Orient; seulement, une profusion de fleurs, �� droite et �� gauche, garnissaient des jardini��res. Le valet les avait fait entrer dans un petit salon aux tentures et au meuble r��s��da. Et, debout, il attendait. Alors, H��l��ne lui donna son nom:
--Madame Grandjean.
Le valet poussa la porte d'un salon jaune et noir, d'un ��clat extraordinaire; et, s'effa?ant, il r��p��ta:
--Madame Grandjean.
H��l��ne, sur le seuil, eut un mouvement de recul. Elle venait d'apercevoir, �� l'autre bout, au coin de la chemin��e, une jeune dame assise sur un ��troit canap��, que la largeur de ses jupes occupait tout entier. En face d'elle, une personne ag��e, qui n'avait quitt�� ni son chapeau ni son chale, ��tait en visite.
--Pardon, murmura H��l��ne, je d��sirais voir monsieur le docteur Deberle.
Et elle reprit la main de Jeanne, qu'elle avait fait entrer devant elle. Cela l'��tonnait et l'embarrassait de tomber ainsi sur cette jeune dame. Pourquoi n'avait-elle pas demand�� le docteur? Elle savait cependant qu'il ��tait mari��.
Justement, madame Deberle achevait un r��cit d'une voix rapide et un peu aigu?:
--Oh! c'est merveilleux, merveilleux!... Elle meurt avec un r��alisme!... Tenez, elle empoigne son corsage comme ?a, elle renverse la t��te et elle devient toute verte.... Je vous jure qu'il faut aller la voir, mademoiselle Aur��lie....
Puis, elle se leva, vint jusqu'�� la porte en faisant un grand bruit d'��toffes, et dit avec une bonne grace charmante:
--Veuillez entrer, madame, je vous en prie.... Mon mari n'est pas l��.... Mais je serai tr��s-heureuse, tr��s-heureuse, je vous assure.... Ce doit ��tre cette belle demoiselle qui a ��t�� si souffrante, l'autre nuit.... Je vous en prie, asseyez-vous un instant.
H��l��ne dut accepter un fauteuil, pendant que Jeanne se posait timidement au bord d'une chaise. Madame Deberle s'��tait enfonc��e de nouveau dans son petit canap��, en ajoutant avec un joli rire:
--C'est mon jour. Oui, je re?ois le samedi.... Alors, Pierre introduit tout le monde. L'autre semaine, il m'a amen�� un colonel qui avait la goutte.
--��tes-vous folle, Juliette! murmura mademoiselle Aur��lie, la dame fig��e, une vieille amie pauvre, qui l'avait vue na?tre.
Il y eut un court silence. H��l��ne donna un regard �� la richesse du salon, aux rideaux et aux si��ges noir et or qui jetaient un ��blouissement d'astre. Des fleurs s'��panouissaient sur la chemin��e, sur le piano, sur les tables; et, par les glaces des fen��tres, entrait la lumi��re claire du jardin, dont on apercevait les arbres sans feuilles et la terre nue. Il faisait tr��s-chaud, une chaleur ��gale de Calorif��re; dans la chemin��e, une seule b?che se r��duisait en braise. Puis, d'un autre regard, H��l��ne comprit que le flamboiement du salon ��tait un cadre heureusement choisi. Madame Deberle avait des cheveux d'un noir d'encre et une peau d'une blancheur
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