jusqu'à
l'héroïsme.
Or, le 5 novembre au soir, vers les huit heures, tel que convenu, le
lieutenant arrivait chez madame DeBoismorel. Il sonna à la porte de
cette demeure qui lui était toujours si hospitalière.
La servante vint ouvrir.
Il allait entrer, quant celle-ci lui dit:
--Môdame étiont partie.
--Partie... dites-vous?
--Oui, môsieu.
C'est étrange! pensa-t-il. Et il s'éloigna en se dirigeant vers le Château
Saint-Louis, situé tout près de là, où presque tous les invités étaient
déjà réunis dans le salon bleu.
A huit heures et demie, un domestique en livrée annonça que le dîner
était servi.
Les convives entrèrent dans une vaste pièce décorée avec un goût
irréprochable.
Le repas fut très joyeux, comme tous ceux que présidait le gouverneur.
Un des convives cependant ne partageait pas la gaieté générale. C'était,
on le devine, le lieutenant DeBeauregard.
Bien qu'il s'efforçât d'oublier momentanément madame DeBoismorel,
l'image de cette femme qu'il aimait repassait sans cesse devant son
esprit.
Il croyait à l'amour réciproque de la jeune veuve, car celle-ci, tout en
cherchant à capter les bonnes grâces du gouverneur Frontenac, avait
agréé depuis un mois les avances du valeureux et bel officier... Elle
était aussi prudente que perfide.--Si le premier m'échappe, je prendrai
le second, se disait-elle!
La plupart des invités avaient remarqué l'absence au dîner de madame
DeBoismorel, mais tous étaient persuadés que tantôt elle ferait sa
brillante apparition au bal.
DeBeauregard caressait aussi cette chère illusion...
A dix heures, la danse était déjà animée par une musique très
entraînante, et la «déesse» qu'on attendait n'avait pas encore paru dans
cette salle où tant de fois sa beauté et son élégance avaient jeté un vif
éclat.
Cet absence commençait à provoquer de nombreux commentaires chez
les dames comme chez les messieurs.
Le lieutenant DeBeauregard, qui se tenait dans l'ombre, fut bientôt
entouré par un groupe d'amis qui lui demandèrent si madame
DeBoismorel était malade.
--Je l'ignore, répondit-il
--Mais pourtant, fit sur un ton ironique le capitaine Bonin, vous
pourriez nous renseigner à son sujet; car ne deviez-vous pas
accompagner cette grande dame ici ce soir?
--Allez donc vous promener, vil mouchard! lui dit DeBeauregard, le
toisant de la tête aux pieds.
Bonin apparemment satisfait de sa sottise, s'éloigna en ricanant
bêtement.
Les autres officiers levèrent les épaules de dégoût devant la lâcheté du
rustre.
--Oui, accentua le capitaine DeMaricour, oui, oui, va te promener,
vilain traîneur de sabre en temps de paix...
Ce capitaine Bonin aimait éperdument madame DeBoismorel; il avait
même demandé sa main, mais la jeune veuve s'était cruellement
moquée de lui. Il saisissait donc cette occasion pour humilier son
heureux rival.
Peu d'instants après cet échange de paroles piquantes, le lieutenant
DeBeauregard quitta discrètement le Château Saint-Louis.
Rendu dans sa chambre, il se prit à réfléchir sur ce qui avait pu motiver
l'absence de madame DeBoismorel de son domicile et de chez le
gouverneur.
«Elle est partie», m'a dit la servante.
Mais pourquoi ne m'avait-elle pas attendue? Où donc était-elle allée?
Il se posa longtemps ces deux questions sans pouvoir y répondre d'une
manière satisfaisante.
Finalement, l'esprit harassé, il se jeta sur son lit en se disant:
Je trouverai demain le mot de cette énigme.
Le lendemain matin, le lieutenant se présenta chez madame
DeBoismorel.
--Madame peut-elle me recevoir? demanda-t-il à la servante.
--Non, môsieur!
--Puis-je savoir pourquoi?
--J'vous avions dit hiar que môdame étiont partie.
--Pouvez-vous me dire où elle est maintenant?
--Allez demander ça au chartier de Lotbinière...
--A monsieur Chartier de Lotbinière, voulez-vous dire?
--P't-être ben, môsieur; j'le connaissions point!
Puis craignant d'avoir trop parlé, elle referma la porte.
--Allons voir M. Chartier de Lotbinière, se dit le lieutenant.
En route, il rencontra un ami intime qui lui dit:
--Quelque triste nouvelle hein? Toutes mes sympathies, mon cher
lieutenant.
--Quelle est donc cette triste nouvelle? Et pourquoi m'offres-tu des
sympathies! fit DeBeauregard, de plus en plus étonné.
--Quoi! ignores-tu que madame DeBoismorel a été arrêtée, hier soir,
sur l'ordre de M. Chartier de Lotbinière, et qu'elle partie pour la France
à bord du Neptune?
La foudre tombant à ses pieds ne lui eut pas causé plus de surprise que
l'annonce de cette nouvelle...
Enfin, se ressaisissant, il remercia son ami et se rendit au bureau de M.
le lieutenant-général civil et criminel, qui l'accueillit avec la plus
grande bienveillance.
Après les compliments d'usage, DeBeauregard dit:
--C'est ne ma qualité d'avocat que je suis ici ce matin. Je viens
d'apprendre que madame DeBoismorel à été arrêtée, hier soir, en vertu
d'un mandat portant votre signature.
--C'est la vérité.
--Voulez-vous avoir la complaisance de me dire de quoi cette dame est
accusée?
M. Chartier de Lotbinière hésitant à répondre, DeBeauregard ajouta:
--J'ai l'intention, si Son Excellence le gouverneur me le permet, d'aller
en France pour défendre madame DeBoismorel devant les tribunaux.
--Ah!... Dans ce cas, répondit M. Chartier de
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