Lotbinière, je puis vous
informer que cette dame est accusée de conspiration contre Son
Excellence le gouverneur et Madame la comtesse de Frontenac.
A ces mots, DeBeauregard s'écria avec conviction:
--C'est une infâme machination tramée contre cette noble femme!
Puis il reprit d'une voix plus calme:
--Puis-je connaître le nom de l'accusateur et obtenir une copie de l'acte
d'accusation?
--Je regrette vivement, croyez-le, de ne pouvoir acquiescer à votre
demande. Du reste, toutes les pièces relatives à cette malheureuse
affaire ont été confiées hier au capitaine du Neptune qui doit les
remettre à qui de droit. Si vous allez en France, vous pourrez les
consulter en vous adressant aux autorités judiciaires.
Le lieutenant n'insista pas.
M. Chartier de Lotbinière le reconduisit jusqu'à la porte et lui dit, en lui
serrant la main: Bon courage! mon cher ami.
--Merci! j'en aurai, et, avec la grâce de Dieu, je saurai à la fois venger
l'honneur d'une Canadienne loyale et confondre son lâche accusateur!
En prononçant ces dernier mots, DeBeauregard pensait au capitaine
Bonin.
* * *
La semaine suivante, un petit bâtiment, l'Hirondelle, se préparait à
prendre la mer à destination de Bordeaux.
DeBeauregard, ayant obtenu du gouverneur un congé illimité, se
rendait à bord de ce vaisseau, en passant par la côte de la montagne,
lorsque, soudain, il vit au-dessus de sa tête un corbeau que tournoyait
en lançant des croassement sinistres.
Peu superstitieux, il ne fit aucun cas de cet oiseau qu'un poète a
surnommé le chantre des funérailles!
Après s'être débarrassé de son bagage, le lieutenant voulut se promener
sur le pont de l'Hirondelle, mais à peine y avait-il posé le pied, que le
corbeau s'élança derechef vers lui en recommençant son chant
lugubre...
Plus ahuri qu'effrayé, le voyageur s'enferma dans sa cabine, sortit de sa
poche un carnet, qui lui servait de journal, et y consigna les faits les
plus importants de la journée.
La même nuit, quand l'Hirondelle déploya ses voiles et prit sa course
sur la mer houleuse, le lieutenant dormait d'un sommeil aussi agité que
les flots.
Six jours passèrent durant lesquels le voilier lutta sans cesse contre les
orages ou les vents.
L'Hirondelle étain un vieux vaisseau qui avait résisté aux chocs de
nombreuses tempêtes, mais les blessures qu'il cachait dans ses flancs
s'élargissaient de plus en plus sous les coups des vagues en fureur.
Le septième jour, après une accalmie de deux heures, un tourbillon de
vent impétueux s'éleva tout d'un coup et désempara l'Hirondelle que
renversé et vaincu, sombra corps et biens, à l'exception de trois
hommes qui réussirent à se cramponner à une chaloupe.
La frêle embarcation s'en alla au gré des flots, car ceux qui l'occupaient
n'avaient pas de rames pour la diriger. Les malheureux manquaient
aussi de nourriture...
Notre existence infortunée Est le jouet des éléments. Une ironique
destinée Semble insulter à nos tourments. Qui peut conjurer les
tempêtes Et fixer les flots inconstants? La foudre éclate sur nos têtes
Quand nous attendions un beau temps.
Un matin, par un temps clair, le capitaine d'un brigantin allant vers
Québec, aperçut au loin une chaloupe que les vagues ballottaient
comme une coquille de noix. Il s'en approcha à la hâte, et, à sa grande
surprise, y trouva trois hommes inanimés, qu'il crut malades ou
endormis. Mais quand les naufragés furent placés avec précaution sur le
pont du navire, le capitaine constata qu'il était en présence de trois
cadavres, dont deux marins et un militaire.
N'ayant rien trouvé sur les matelots qui pût servir à leur identification,
on jeta leur cadavre à la mer, après avoir observé le cérémonial connu
de tous les marins.
Mais sur le corps du militaire on trouva un carnet assez volumineux
que le capitaine sembla parcourir avec un vif intérêt. Et puis,
rassemblant tout l'équipage autour du mort, il lut à haute voix ces lignes
que portait le dernier feuillet:
«Il y a dix jours aujourd'hui que notre vaisseau l'Hirondelle a péri.
Nous sommes probablement les seuls qui avons échappé au naufrage.
Nous étions alors si heureux et si excités, que nous chantions et
pleurions à la fois! Mais à cette joie délirante succédèrent bientôt
l'angoisse et la douleur. Car, n'ayant pas d'aviron pour conduire notre
barque, ni de nourriture pour nous soutenir en attendant des secours
peut-être trop tardifs, qu'allions-nous devenir? Nous regrettions presque
de n'avoir pas été engloutis avec tout l'équipage de l'Hirondelle...
«Oh! que de souffrances morales et physiques nous avons endurées
depuis le naufrage! Il est plus facile de les imaginer que de les décrire.
«L'autre jour, dans un moment de désespoir et de folie, l'un des
matelots voulut se suicider! Nous eûmes toute la peine du monde de
l'empêcher de commettre cet acte indigne d'un brave et d'un chrétien.
«Enfin, hier, mes deux compagnons d'infortune que je vois étendus à
mes pieds, les yeux
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.