son gîte et se met à faire les
cents pas sur le pont, de tribord à bâbord.
--Vous n'avez pas sommeil, monsieur? lui demande le timonier.
--Non, je ne puis dormir, malgré les quelques verres de cognac que j'ai
pris.
--Ah! vous avez du cognac?... reprend le matelot, l'oeil pétillant de
convoitise.
--Oui, j'en ai une caisse; c'est un bon remède dit-on, contre le mal de
mer et l'insomnie. Aimez-vous cette liqueur? ajoute François.
--Si je l'aime... Ma Doué, oui!
François va chercher une bouteille de cognac contenant une substance
narcotique, et, s'asseyant à côté du marin, il lui en sert une forte rasade.
--A votre santé! fait le matelot en levant son gobelet qu'il vide d'un
Trait.
--Merci!
François, tout en parlant de choses indifférentes, verse à son
compagnon plusieurs coups, si bien qu'au bout d'une demi-heure, le
buveur roule, inconscient, sur les cordages.
C'est le temps d'agir, pense François.
Et il exécuta prestement le plan hardi qu'il avait conçu.
* * *
Le lendemain matin en faisant la visite du bord, le capitaine remarqua
d'abord la disparition d'une chaloupe, puis il aperçut le timonier gisant
sur le pont.
Il le secoua rudement, mais n'e put obtenir aucune parole sensée. C'était
le narcotique plutôt que l'eau-de-vie que le tenait dans cet
engourdissement.
Le capitaine alla interroger l'autre officier qui était encore à son poste,
mais celui-ci n'avait eu connaissance de rien.
Ayant continué les perquisitions, il constata avec stupeur la double
évasion de sa prisonnière et du passager bizarre qu'il avait eu la
maladresse d'accueillir si facilement.
Il donna l'alarme. Tout l'équipage fut sur pied en un instant.
Mais que faire? De quel côté diriger les recherches?...
Après avoir mûrement délibéré, on se rangea de l'avis d'un vieux loup
de mer qui proposait de retourner en arrière et d'aller visiter l'île qu'on
avait dépassée La veille. Cinq heures plus tard, le Neptune mouillait à
quelques arpents d'un joli bouquet de verdure émergeant des eaux.
Plusieurs hommes sautèrent dans une embarcation et atterrirent bientôt
sur une grève de gravier.
L'île était petite, mais l'épaisse forêt qui la couvrait en fermait presque
l'accès et rendait les recherches difficiles.
Toute la journée on fouilla l'île sans découvrir aucune trace des fugitifs.
Les marins, découragés allaient abandonner leur poursuite, quand l'un
d'eux retira d'un buisson un tout petit mouchoir blanc portant les lettres
J.D.
--Ce sont les initiales de la prisonnière, dit-il. Puis agitant le mouchoir
comme il eut fait d'un drapeau, il s'écria:
--En avant, mes amis!
Tous pénétrèrent dans le buisson, en écartèrent soigneusement les
branches, et--agréable surprise--trouvèrent le couple blotti au fond de
ce réseau inextricable!
--Suivez nous! commanda aux fugitifs le chef de la bande.
Toute résistance étant impossible en un tel endroit, François, qui
possédait pourtant une force extraordinaire, parut se soumettre de
bonne grâce à l'ordre du commandant.
Mais lorsque le groupe fut sorti de la forêt, le prisonnier se lança
comme un lion au milieu des matelots, en assomma ou bouscula sept
ou huit, et, profitant de la confusion générale, il allait s'échapper avec
sa compagne, quand un marin lui asséna sur la tête un coup de bâton. Il
tomba; et les matelots que son poing formidable n'avait pas atteints, se
ruèrent sur lui, le ligotèrent et le portèrent dans l'embarcation, ainsi que
madame DeBoismorel qui venait de s'évanouir.
---
[Illustration: Front.]
UN DÉFENSEUR VOLONTAIRE
---
Nous avons dit plus haut que madame DeBoismorel avait pris part aux
réjouissances profanes du 5 novembre et qu'elle attendait le lieutenant
DeBeauregard, qui devait l'accompagner au dîner et au bal que donnait
le gouverneur ce soir-là.
La jolie veuve était, à n'en pas douter, l'idole de la société aristocratique
de Québec.
Au premier rang de ses admirateurs, figurait le lieutenant
DeBeauregard, qui faisait partie de l'état-major du gouverneur. Cet
officier était un jeune homme de haute taille à la physionomie ouverte,
spirituelle et énergique.
Avant d'endosser l'uniforme, DeBeauregard avait porté la toge au
barreau de Paris, où il s'était distingué par son amour du travail, son
éloquence et sa grande probité.
Il promettait d'être un jour une des lumières de son ordre. Mais
plusieurs officiers de ses amis qui l'avaient connu, dix ans avant,
lorsqu'il faisait son service militaire, et qui avaient admiré son caractère
lui proposèrent un bon matin de se joindre à eux pour aller servir la
patrie, par delà les mers, sous les ordres du gouverneur Frontenac.
Très-bien avait-il répondu sans hésiter.
Quelques semaines plus tard, il reprenait l'uniforme et s'embarqua pour
la Nouvelle-France.
Le gouverneur l'accueillit avec empressement, car il lui était
chaleureusement recommandé par la comtesse de Frontenac qui l'avait
rencontré souvent à la Cour.
Frontenac se félicita par la suite d'avoir accordé sa confiance à ce jeune
homme. En effet, durant les sombres jours du siège, le lieutenant
DeBeauregard se signala par une bravoure poussée parfois
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