à Madame
DeBoismorel qu'elle lui sied à merveille. Alors mettant à son cou un
collier de diamants et dans ses cheveux une parure de grande valeur, la
jeune femme se regarde dans un haute glace, et se trouve fort belle. Elle
l'est réellement. Aussi, au moment de prendre congé, la couturière lui
dit avec sincérité:
--Madame, vous êtes d'une beauté ravissante! Je suis certaine que vous
ferez bien des jalouses au Château Saint-Louis.
--Merci et bonsoir! répond la coquette.
Puis elle se replace devant le miroir, se regarde longtemps, sourit à son
image, et, prenant un air de triomphe, elle dit presque à haute voix: «Ce
soir, comte Louis de Frontenac, vous serez à mes pieds!»
Soudain, le timbre de la porte résonne bruyamment.
Peste soit de l'importun! grogne la veuve. Puis, s'adoucissant, elle dit:
--Henriette, va ouvrir. Je ne reçois personne, tu comprends, hein?
personne... excepté le lieutenant DeBeauregard.
--C'est bon, môdame, répond la servante.
Après un court moment, Henriette revient, la mine embarrassée, et
jargonne à sa maîtresse que deux gros hommes vouliont la voêr.
--Comment, imbécile! tu n'as donc pas compris ce que je t'ai dit?...
--Oui, môdame, j'avions compris; l'leu-z-avons dit comme ça: môdame
reçoê parsonne, parsonne, excepté le Beauregard... Et pis y m'aviont
répond qu'y vouliont pareil voêr môdame...
Exaspérée, la veuve entre dans la salle et aux visiteurs qu'elle ne
connaît pas, elle dit à brûle-pourpoint: Que voulez-vous?
L'un d'eux demande poliment si c'est bien à Madame DeBoismorel, née
Jacqueline Aubry, qu'il a l'honneur de parler.
--Oui, répondit-elle avec hauteur, et que voulez-vous?
--Madame, fait le même, au nom du roi, nous venons vous arrêter!...
--Impudents! clame la veuve.--Sortez!
--Pardon, madame, nous avons instruction de vous arrêter et de vous
conduire à bord du vaisseau Neptune qui quitte la rade, cette nuit même,
pour la France. Veuillez lire ce mandat portant les armes de Sa Majesté,
le sceau de la haute Cour et la signature de monsieur René-Louis
Chartier de Lotbinière, lieutenant-général civil et criminel.
D'un geste brusque, elle prend le document, le parcourt fiévreusement,
puis, l'ayant froissé, elle le jette à ses pieds!
--François! crie-t-elle, appelant son serviteur.
Celui-ci paraît.
--Imaginez-vous, lui dit-elle, que les deux individus que vous voyez ici
ont l'audace de me faire prisonnière, au nom du roi, s'il vous plaît! et
sur l'ordre de M. Chartier de Lotbinière! C'est un guet-apens dont je ne
veux être ni la dupe ni la victime. Eh bien! allez chez le gouverneur et
dites-lui de ma part d'envoyer des gardes pour me débarrasser de ces
deux malotrus!
--C'est bien, madame, j'y cours!
En attendant le retour du serviteur, la maîtresse arpente la chambre,
muette, les mains crispées, l'écume à la bouche et les yeux remplis de
flammes. Sa beauté disparu: elle est maintenant hideuse et effrayante!
Enfin, François arrive, tout essoufflé et l'air penaud.
--Quoi! rugit-elle, vous êtes seul?...
--Oui, madame, le gouverneur a refusé de me recevoir. J'ai insisté
auprès de son secrétaire, Monsieur de Monseignat, et celui-ci m'a tout
simplement éconduit en me disant qu'il ne voulait avoir rien de
commun avec madame DeBoismorel!
--L'insolent! le rustre! hurle-t-elle...--Eh bien! François, vous qui êtes
fort comme un Hercule, protégez-moi et chassez ces deux misérables-ci
de ma demeure.
--Je suis peiné, madame, de ne pouvoir vous obéir, car ces messieurs
ont pour eux la force de la loi, et cette force est bien supérieure à la
mienne.
--Comment, lâche! vous aussi vous m'abandonnez... Allez-vous-en,
poltron, je vous chasse!
--Vraiment, madame? N'ai-je pas toujours, dans la mesure du possible,
rempli mon devoir à votre égard?
Sans lui répondre, et au paroxysme de la rage, elle saisit une potiche
qu'elle veut lancer à la tête de son serviteur, mais celui-ci s'étant baissé,
la potiche heurte une glace de Venise, qui vole en mille éclats... Alors,
ne pouvant contrôler ses nerfs et sa fureur, elle arrache son croissant,
son collier et tous ses bijoux qu'elle brise sur le parquet, met sa toilette
en lambeaux et se déchire la poitrine de ses ongles nacrés, qui sont à
présent plus redoutables que des griffes.
A l'instant, les agents de police l'empoignent et la menacent de lui
mettre les menottes si elle ne veut pas se tranquilliser.
Surprise de l'attitude énergique de ces hommes, et à la vue des
menottes qu'on lui montre, elle se ressaisit tout à coup.
--Laissez moi! Ne me touchez pas! leur dit-elle, avec plus de calme.
--C'est bien, madame, mais préparez-vous immédiatement à nous
suivre.
Elle appelle sa servante, qui accourt aussitôt.
Henriette, sais-tu ce que ces deux individus vienne faire ici?
--Oui môdame, j'avons tout entendu par le trou de la sarrure...
--Voyons, ma chère Henriette, mon seul et fidèle appui en ce moment,
que me conseilles-tu, toi?
--Ben môdame, si j'étions à votte place j'suivrions ces deux beaux
hommes qu'ont pas l'air mâlin pen toute,
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