Une Intrigante sous le règne de Frontenac | Page 8

J.-B. Caouette
messieurs.
Le lieutenant DeBeauregard, qui se tenait dans l'ombre, fut bient?t entouré par un groupe d'amis qui lui demandèrent si madame DeBoismorel était malade.
--Je l'ignore, répondit-il
--Mais pourtant, fit sur un ton ironique le capitaine Bonin, vous pourriez nous renseigner à son sujet; car ne deviez-vous pas accompagner cette grande dame ici ce soir?
--Allez donc vous promener, vil mouchard! lui dit DeBeauregard, le toisant de la tête aux pieds.
Bonin apparemment satisfait de sa sottise, s'éloigna en ricanant bêtement.
Les autres officiers levèrent les épaules de dégo?t devant la lacheté du rustre.
--Oui, accentua le capitaine DeMaricour, oui, oui, va te promener, vilain tra?neur de sabre en temps de paix...
Ce capitaine Bonin aimait éperdument madame DeBoismorel; il avait même demandé sa main, mais la jeune veuve s'était cruellement moquée de lui. Il saisissait donc cette occasion pour humilier son heureux rival.
Peu d'instants après cet échange de paroles piquantes, le lieutenant DeBeauregard quitta discrètement le Chateau Saint-Louis.
Rendu dans sa chambre, il se prit à réfléchir sur ce qui avait pu motiver l'absence de madame DeBoismorel de son domicile et de chez le gouverneur.
?Elle est partie?, m'a dit la servante.
Mais pourquoi ne m'avait-elle pas attendue? Où donc était-elle allée?
Il se posa longtemps ces deux questions sans pouvoir y répondre d'une manière satisfaisante.
Finalement, l'esprit harassé, il se jeta sur son lit en se disant:
Je trouverai demain le mot de cette énigme.
Le lendemain matin, le lieutenant se présenta chez madame DeBoismorel.
--Madame peut-elle me recevoir? demanda-t-il à la servante.
--Non, m?sieur!
--Puis-je savoir pourquoi?
--J'vous avions dit hiar que m?dame étiont partie.
--Pouvez-vous me dire où elle est maintenant?
--Allez demander ?a au chartier de Lotbinière...
--A monsieur Chartier de Lotbinière, voulez-vous dire?
--P't-être ben, m?sieur; j'le connaissions point!
Puis craignant d'avoir trop parlé, elle referma la porte.
--Allons voir M. Chartier de Lotbinière, se dit le lieutenant.
En route, il rencontra un ami intime qui lui dit:
--Quelque triste nouvelle hein? Toutes mes sympathies, mon cher lieutenant.
--Quelle est donc cette triste nouvelle? Et pourquoi m'offres-tu des sympathies! fit DeBeauregard, de plus en plus étonné.
--Quoi! ignores-tu que madame DeBoismorel a été arrêtée, hier soir, sur l'ordre de M. Chartier de Lotbinière, et qu'elle partie pour la France à bord du Neptune?
La foudre tombant à ses pieds ne lui eut pas causé plus de surprise que l'annonce de cette nouvelle...
Enfin, se ressaisissant, il remercia son ami et se rendit au bureau de M. le lieutenant-général civil et criminel, qui l'accueillit avec la plus grande bienveillance.
Après les compliments d'usage, DeBeauregard dit:
--C'est ne ma qualité d'avocat que je suis ici ce matin. Je viens d'apprendre que madame DeBoismorel à été arrêtée, hier soir, en vertu d'un mandat portant votre signature.
--C'est la vérité.
--Voulez-vous avoir la complaisance de me dire de quoi cette dame est accusée?
M. Chartier de Lotbinière hésitant à répondre, DeBeauregard ajouta:
--J'ai l'intention, si Son Excellence le gouverneur me le permet, d'aller en France pour défendre madame DeBoismorel devant les tribunaux.
--Ah!... Dans ce cas, répondit M. Chartier de Lotbinière, je puis vous informer que cette dame est accusée de conspiration contre Son Excellence le gouverneur et Madame la comtesse de Frontenac.
A ces mots, DeBeauregard s'écria avec conviction:
--C'est une infame machination tramée contre cette noble femme!
Puis il reprit d'une voix plus calme:
--Puis-je conna?tre le nom de l'accusateur et obtenir une copie de l'acte d'accusation?
--Je regrette vivement, croyez-le, de ne pouvoir acquiescer à votre demande. Du reste, toutes les pièces relatives à cette malheureuse affaire ont été confiées hier au capitaine du Neptune qui doit les remettre à qui de droit. Si vous allez en France, vous pourrez les consulter en vous adressant aux autorités judiciaires.
Le lieutenant n'insista pas.
M. Chartier de Lotbinière le reconduisit jusqu'à la porte et lui dit, en lui serrant la main: Bon courage! mon cher ami.
--Merci! j'en aurai, et, avec la grace de Dieu, je saurai à la fois venger l'honneur d'une Canadienne loyale et confondre son lache accusateur!
En pronon?ant ces dernier mots, DeBeauregard pensait au capitaine Bonin.
* * *
La semaine suivante, un petit batiment, l'Hirondelle, se préparait à prendre la mer à destination de Bordeaux.
DeBeauregard, ayant obtenu du gouverneur un congé illimité, se rendait à bord de ce vaisseau, en passant par la c?te de la montagne, lorsque, soudain, il vit au-dessus de sa tête un corbeau que tournoyait en lan?ant des croassement sinistres.
Peu superstitieux, il ne fit aucun cas de cet oiseau qu'un poète a surnommé le chantre des funérailles!
Après s'être débarrassé de son bagage, le lieutenant voulut se promener sur le pont de l'Hirondelle, mais à peine y avait-il posé le pied, que le corbeau s'élan?a derechef vers lui en recommen?ant son chant lugubre...
Plus ahuri qu'effrayé, le voyageur s'enferma dans sa cabine, sortit de sa poche un carnet, qui lui servait de journal, et y consigna les faits les plus importants de la journée.
La même nuit, quand l'Hirondelle déploya ses voiles et prit sa course sur la mer houleuse, le lieutenant dormait d'un sommeil aussi agité que les flots.
Six
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