jours passèrent durant lesquels le voilier lutta sans cesse contre les orages ou les vents.
L'Hirondelle étain un vieux vaisseau qui avait résisté aux chocs de nombreuses tempêtes, mais les blessures qu'il cachait dans ses flancs s'élargissaient de plus en plus sous les coups des vagues en fureur.
Le septième jour, après une accalmie de deux heures, un tourbillon de vent impétueux s'éleva tout d'un coup et désempara l'Hirondelle que renversé et vaincu, sombra corps et biens, à l'exception de trois hommes qui réussirent à se cramponner à une chaloupe.
La frêle embarcation s'en alla au gré des flots, car ceux qui l'occupaient n'avaient pas de rames pour la diriger. Les malheureux manquaient aussi de nourriture...
Notre existence infortunée Est le jouet des éléments. Une ironique destinée Semble insulter à nos tourments. Qui peut conjurer les tempêtes Et fixer les flots inconstants? La foudre éclate sur nos têtes Quand nous attendions un beau temps.
Un matin, par un temps clair, le capitaine d'un brigantin allant vers Québec, aper?ut au loin une chaloupe que les vagues ballottaient comme une coquille de noix. Il s'en approcha à la hate, et, à sa grande surprise, y trouva trois hommes inanimés, qu'il crut malades ou endormis. Mais quand les naufragés furent placés avec précaution sur le pont du navire, le capitaine constata qu'il était en présence de trois cadavres, dont deux marins et un militaire.
N'ayant rien trouvé sur les matelots qui p?t servir à leur identification, on jeta leur cadavre à la mer, après avoir observé le cérémonial connu de tous les marins.
Mais sur le corps du militaire on trouva un carnet assez volumineux que le capitaine sembla parcourir avec un vif intérêt. Et puis, rassemblant tout l'équipage autour du mort, il lut à haute voix ces lignes que portait le dernier feuillet:
?Il y a dix jours aujourd'hui que notre vaisseau l'Hirondelle a péri. Nous sommes probablement les seuls qui avons échappé au naufrage. Nous étions alors si heureux et si excités, que nous chantions et pleurions à la fois! Mais à cette joie délirante succédèrent bient?t l'angoisse et la douleur. Car, n'ayant pas d'aviron pour conduire notre barque, ni de nourriture pour nous soutenir en attendant des secours peut-être trop tardifs, qu'allions-nous devenir? Nous regrettions presque de n'avoir pas été engloutis avec tout l'équipage de l'Hirondelle...
?Oh! que de souffrances morales et physiques nous avons endurées depuis le naufrage! Il est plus facile de les imaginer que de les décrire.
?L'autre jour, dans un moment de désespoir et de folie, l'un des matelots voulut se suicider! Nous e?mes toute la peine du monde de l'empêcher de commettre cet acte indigne d'un brave et d'un chrétien.
?Enfin, hier, mes deux compagnons d'infortune que je vois étendus à mes pieds, les yeux grands ouverts et tournés vers le ciel, sont morts de froid et de faim!
?C'est le sort que m'attend dans quelques minutes. Car la mort--comme le noir corbeau que croassa à mes oreilles, à mon départ de Québec--plane au-dessus de moi et effleure déjà ma tête de son aile sombre!
?J'aurais pourtant voulu vivre encore quelques semaines afin de pouvoir remplir une tache sacrée! Mais, puisqu'il me faut mourir à présent, je fais au divin Ma?tre le sacrifice de ma vie, et, en retour, je Lui demande de sauver l'honneur d'une honnête femme que j'aime et que j'avais juré de protéger contre d'ignobles persécuteurs!
?Vous qui trouverez mon cadavre et ceux de mes compagnons, priez pour le repos de notre ame!...
?Hélas! la mort s'en vient: mes yeux ne voient presque plus la lumière, et ma main tremble en tra?ant ces derniers mots que he ne pourrai même plus relire:
Adieu, belle France! Adieu, cher Canada!?
Au bas de la page le capitaine put déchiffrer la signature et la date suivantes:
Lieutenant Jules DeBeauregard.
Ce 29 novembre 1690.
Tout l'équipage, ému jusqu'aux larmes, s'inclina pieusement devant la dépouille de ce compatriote inconnu dont les accents exprimaient le plus pur patriotisme.
Sur l'ordre du capitaine, le corps du lieutenant fut enseveli dans le drapeau fleurdelisé et déposé dans un long coffre de pois que l'on remit la semaine suivante aux autorités militaires de Québec.
* * *
La nouvelle du naufrage de l'Hirondelle et de la mort tragique du lieutenant DeBeauregard se répandit en ville comme une tra?née de poudre enflammée et fit na?tre la tristesse dans tous les coeurs.
Le gouverneur, qui avait pour le défunt une profonde affection, ne pouvait se consoler en songeant à la perte que faisait la Nouvelle-France dans la personne de ce soldat sans peur et sans reproche.
De toutes parts s'élevait un concert d'éloges à l'adresse du cher disparu. On rendait hommage à ses qualités du coeur, de l'ame et de l'esprit.
Les funérailles du lieutenant eurent lieu au milieu d'un immense concours de citoyens accourus des coins les plus reculés de la colonie.
Il fut inhumé dans le cimetière catholique de la Haute-ville à c?té d'un jeune officier mort récemment
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