dès l'aube, le Neptune--pavillon royal arboré à la corne--quitta la rade de Québec et fila, vent arrière à une allure rapide.
Une semaine après, grace à une température idéale, le vaisseau voguait gracieusement au large des c?tes de Terre-Neuve.
Rien de remarquable n'était survenu pendant le cours de ces quelques jours.
Madame DeBoismorel souffrait de prostration et gardait constamment sa cabine, où elle prenait ses repas.
A deux reprises, elle avait refusé les soins du médecin du bord.
La malheureuse semblait avoir perdu le sommeil et la raison, car les officiers de quart l'entendaient souvent, la nuit, pousser des cris de rage ou d'effroi.
--Si ces sortes de crises persistent, avait dit le capitaine, il faudra la surveiller la nuit comme le jour.
* * *
Un soir que la prisonnière ber?ait au doux bruit de l'onde ses tristes rêveries, elle crut percevoir les sons d'une voix bien connue qui l'appelait.
D'abord surprise et l'esprit perplexe, elle ne répondit pas.
La voix ayant répété son nom, elle demanda:
--Qui est là?
--C'est Fran?ois, madame, qui vient vous sauver...
Elle ouvrit aussit?t la porte, et en voyant son serviteur, elle s'excusa, les yeux baignés de larmes, d'avoir douté un instant de son dévouement.
--N'y pensez plus, je vous en prie, madame, et venez vite...
Sa ma?tresse lui ayant désigné deux valises, il s'en saisit comme d'une plume et court les déposer dans une chaloupe attachée à l'arrière du vaisseau, puis, au moyen d'une échelle de chanvre, il fait descendre madame DeBoismorel dans l'embarcation, où il a eu le soin de placer des vivres.
Il saute à son tour dans la chaloupe, en démarre le lien, et se met à ramer de toutes ses forces dans la direction d'une ?le entrevue à l'heure du souper, et qu'il espère atteindre avant le lever du soleil.
* * *
Le lecteur est sans doute surpris de voir ici l'ancien serviteur de madame DeBoismorel rentrer en scène.
Une explication s'impose. La voici.
Madame DeBoismorel était aimée de tous ceux qu'elle avait à son service; elle les traitait toujours avec douceur et libéralité. C'est dans un état d'excitation incontr?lable qu'elle avait chassé son fidèle et dévoué serviteur. Celui-ci en fut plus attristé que vexé. Il croyait d'ailleurs que sa ma?tresse était victime d'une lourde méprise ou d'une odieuse persécution. Aussi, dans l'espérance de pouvoir lui rendre quelques bons offices--si humbles fussent-ils--il résolut promptement de la suivre en France.
En quittant la demeure de sa ma?tresse, après avoir eu la précaution de se couper les cheveux et la barbe--ce qui le rendait méconnaissable, car il portait une longue barbe--il courut à la basse-ville et prit place sur le Neptune, quelques minutes avant l'arrivée de madame DeBoismorel.
Nul ne le connaissait à bord, du moins il le croyait.
Cependant, par prudence, il sortait rarement de sa cabine, prétextant avoir le mal de mer.
Il dormait peu, et les cris de madame DeBoismorel parvenaient jusqu'à lui.
Jugeant sa ma?tresse bien malade, et redoutant pour elle les dangers d'une longue traversée, il décida de l'arracher par la fuite à sa captivité. Il n'attendait qu'une occasion favorable pour mettre son projet à exécution, car il ne voulait courir aucun risque.
Or, un soir que la mer était calme et le ciel étoilée, il observa que l'officier à la vigie était un vieux marin à l'oeil encore assez vif, mais à l'oreille très dure. Il avait peu à craindre de celui-là. Mais Il n'était pas aussi rassuré sur le compte du timonier, jeune et solide gaillard.
Vers les neufs heures, Fran?ois sort de son g?te et se met à faire les cents pas sur le pont, de tribord à babord.
--Vous n'avez pas sommeil, monsieur? lui demande le timonier.
--Non, je ne puis dormir, malgré les quelques verres de cognac que j'ai pris.
--Ah! vous avez du cognac?... reprend le matelot, l'oeil pétillant de convoitise.
--Oui, j'en ai une caisse; c'est un bon remède dit-on, contre le mal de mer et l'insomnie. Aimez-vous cette liqueur? ajoute Fran?ois.
--Si je l'aime... Ma Doué, oui!
Fran?ois va chercher une bouteille de cognac contenant une substance narcotique, et, s'asseyant à c?té du marin, il lui en sert une forte rasade.
--A votre santé! fait le matelot en levant son gobelet qu'il vide d'un Trait.
--Merci!
Fran?ois, tout en parlant de choses indifférentes, verse à son compagnon plusieurs coups, si bien qu'au bout d'une demi-heure, le buveur roule, inconscient, sur les cordages.
C'est le temps d'agir, pense Fran?ois.
Et il exécuta prestement le plan hardi qu'il avait con?u.
* * *
Le lendemain matin en faisant la visite du bord, le capitaine remarqua d'abord la disparition d'une chaloupe, puis il aper?ut le timonier gisant sur le pont.
Il le secoua rudement, mais n'e put obtenir aucune parole sensée. C'était le narcotique plut?t que l'eau-de-vie que le tenait dans cet engourdissement.
Le capitaine alla interroger l'autre officier qui était encore à son poste, mais celui-ci n'avait eu connaissance de rien.
Ayant continué les perquisitions, il constata avec stupeur la double évasion de sa prisonnière et du passager bizarre qu'il avait
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