et jargonne à sa ma?tresse que deux gros hommes vouliont la voêr.
--Comment, imbécile! tu n'as donc pas compris ce que je t'ai dit?...
--Oui, m?dame, j'avions compris; l'leu-z-avons dit comme ?a: m?dame re?oê parsonne, parsonne, excepté le Beauregard... Et pis y m'aviont répond qu'y vouliont pareil voêr m?dame...
Exaspérée, la veuve entre dans la salle et aux visiteurs qu'elle ne conna?t pas, elle dit à br?le-pourpoint: Que voulez-vous?
L'un d'eux demande poliment si c'est bien à Madame DeBoismorel, née Jacqueline Aubry, qu'il a l'honneur de parler.
--Oui, répondit-elle avec hauteur, et que voulez-vous?
--Madame, fait le même, au nom du roi, nous venons vous arrêter!...
--Impudents! clame la veuve.--Sortez!
--Pardon, madame, nous avons instruction de vous arrêter et de vous conduire à bord du vaisseau Neptune qui quitte la rade, cette nuit même, pour la France. Veuillez lire ce mandat portant les armes de Sa Majesté, le sceau de la haute Cour et la signature de monsieur René-Louis Chartier de Lotbinière, lieutenant-général civil et criminel.
D'un geste brusque, elle prend le document, le parcourt fiévreusement, puis, l'ayant froissé, elle le jette à ses pieds!
--Fran?ois! crie-t-elle, appelant son serviteur.
Celui-ci para?t.
--Imaginez-vous, lui dit-elle, que les deux individus que vous voyez ici ont l'audace de me faire prisonnière, au nom du roi, s'il vous pla?t! et sur l'ordre de M. Chartier de Lotbinière! C'est un guet-apens dont je ne veux être ni la dupe ni la victime. Eh bien! allez chez le gouverneur et dites-lui de ma part d'envoyer des gardes pour me débarrasser de ces deux malotrus!
--C'est bien, madame, j'y cours!
En attendant le retour du serviteur, la ma?tresse arpente la chambre, muette, les mains crispées, l'écume à la bouche et les yeux remplis de flammes. Sa beauté disparu: elle est maintenant hideuse et effrayante!
Enfin, Fran?ois arrive, tout essoufflé et l'air penaud.
--Quoi! rugit-elle, vous êtes seul?...
--Oui, madame, le gouverneur a refusé de me recevoir. J'ai insisté auprès de son secrétaire, Monsieur de Monseignat, et celui-ci m'a tout simplement éconduit en me disant qu'il ne voulait avoir rien de commun avec madame DeBoismorel!
--L'insolent! le rustre! hurle-t-elle...--Eh bien! Fran?ois, vous qui êtes fort comme un Hercule, protégez-moi et chassez ces deux misérables-ci de ma demeure.
--Je suis peiné, madame, de ne pouvoir vous obéir, car ces messieurs ont pour eux la force de la loi, et cette force est bien supérieure à la mienne.
--Comment, lache! vous aussi vous m'abandonnez... Allez-vous-en, poltron, je vous chasse!
--Vraiment, madame? N'ai-je pas toujours, dans la mesure du possible, rempli mon devoir à votre égard?
Sans lui répondre, et au paroxysme de la rage, elle saisit une potiche qu'elle veut lancer à la tête de son serviteur, mais celui-ci s'étant baissé, la potiche heurte une glace de Venise, qui vole en mille éclats... Alors, ne pouvant contr?ler ses nerfs et sa fureur, elle arrache son croissant, son collier et tous ses bijoux qu'elle brise sur le parquet, met sa toilette en lambeaux et se déchire la poitrine de ses ongles nacrés, qui sont à présent plus redoutables que des griffes.
A l'instant, les agents de police l'empoignent et la menacent de lui mettre les menottes si elle ne veut pas se tranquilliser.
Surprise de l'attitude énergique de ces hommes, et à la vue des menottes qu'on lui montre, elle se ressaisit tout à coup.
--Laissez moi! Ne me touchez pas! leur dit-elle, avec plus de calme.
--C'est bien, madame, mais préparez-vous immédiatement à nous suivre.
Elle appelle sa servante, qui accourt aussit?t.
Henriette, sais-tu ce que ces deux individus vienne faire ici?
--Oui m?dame, j'avons tout entendu par le trou de la sarrure...
--Voyons, ma chère Henriette, mon seul et fidèle appui en ce moment, que me conseilles-tu, toi?
--Ben m?dame, si j'étions à votte place j'suivrions ces deux beaux hommes qu'ont pas l'air malin pen toute, pen toute!
--Enfin! puisqu'il le faut... Dans ce cas, aide-moi à préparer mes malles.
Et la veuve se met à jeter, pêle-mêle, dans deux valises, tous les effets qui lui tombent sous la main.
--Pas si dru, m?dame, pas si dru: vous allez enchiffronner votte linge. Laissez-moê faire.
Puis remarquant les débris des bijoux épars sur le plancher, la servante s'écrie:
--Bonne Sante Viarge, m?dame, vos afficaux sont tout cassés!...
Une heure après, ayant terminé ses préparatifs, madame DeBoismorel dit à sa servante:--Remets cette lettre à mon notaire, M. Claude Aubert. Il te paiera tes gages pendant mon absence. Prends bien soin de la maison; et je te récompenserai. Car je reviendrai bient?t avec mon frère, le lieutenant Aubry. C'est un brave, lui, et il saura me protéger contre tous mes persécuteurs...
Elle monta dans la voiture qui l'attendait.
Henriette, debout sur le seuil de la porte, cria à sa ma?tresse:
--Ben le bonsoêr, m?dame, et à la revoyure!...
Le rayon a fait place à l'ombre... et la joie à la tristesse!
En route, la prisonnière, dont l'esprit est en ce moment plus ou moins lucide, marmotte souvent ces étranges paroles:
Rayon céleste Je te bénis! Ombre funeste, Je te maudis!
[Illustration: Déco.]
[Illustration: Front.]
GéNéREUX DéVOUEMENT
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Le lendemain,
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