rien ne peut me surprendre de la art de ce triste sire que nous avons le malheur d'avoir pour souverain.
?Espérons qu'une nouvelle Lucrèce Borgia en débarrassera bient?t notre belle France...
?Un mot maintenant de mes projets. Je regrette de te dire que les choses ne vont pas au gré de mes désirs.
?Il est vrai que depuis plus de deux mois notre gouverneur a été très occupé et que les réceptions à son palais ont été rares. Cependant, le lendemain du siège de notre ville par les Anglais, j'ai eu l'avantage de rencontrer le comte au Chateau Saint-Louis. Il a été pour moi d'une courtoisie parfaite, pour ne pas dire plus. A deux reprises, comme à la dérobée, il attacha sur moi un regard que je ne puis définir, mais dans lequel mon coeur--qui s'y conna?t--a deviné un nouveau sentiment fait de tendresse et d'admiration. C'est sans doute le coup de foudre qu'il ressentait. Mais attendons les développements, mon chéri!
?Quoi qu'il en soit, je suis persuadée que les lettres que tu as écrites sur les frasques réelles ou fausses de la ?Divine? ont produit beaucoup d'effet sur l'esprit altier du comte.
?Je veux lui faire détester cette femme autant que je la déteste moi-même!
?Par le même courrier qui t'apportera la présente, j'envoie une nouvelle ép?tre à la comtesse de Frontenac. Je lui représente le comte comme un être dégradé et je luis dis des choses qui devront la dégo?ter pour toujours de son mari.
?Toutes ces choses, ben entendu, son de mon invention. Car le gouverneur est aujourd'hui un homme rangé. Comme le diable, en veillant il se fait moine... Il va à la messe presque tous les matins chez les Pères Récollets, et il s'est réconcilié avec Monseigneur de Saint-Vallier. Ils paraissent les meilleurs amis du monde.
?Le gouverneur n'est plus jeune, mais il est encore frais et vigoureux comme un homme de quarante ans. D'ailleurs, peu importe son age! Si j'ai la chance de le décider à demander le divorce et à m'épouser, son titre et son palais suffiront à mon bonheur... et au tien, mon chéri!
?Je sais que le gouverneur doit donner prochainement une grande fête pour célébrer sa victoire sur l'amiral Phips. Mon nom sera certainement un des premiers sur la liste des invités.
?On vante ici ma beauté, ma grace, etc. Mon miroir me dit que ces louanges sont mérités. Eh bien! ce jour-là, je serai plus belle et plus gracieuse que jamais. Je veux être la reine de la fête et la ?Divine? de la Nouvelle-France! Je ferai ensuite, et rondement, l'assaut du noble coeur du comte de Frontenac!...?
?A bient?t mon chéri!
?JACQUELINE DEBOISMOREL.?
[Illustration: Déco.]
[Illustration: Front.]
RAYON ET OMBRE
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La Providence avait visiblement veillé sur la petite colonie. Car celle-ci bien que préparée à soutenir une longue lutte, pouvait difficilement croire qu'elle triompherait de ses puissants ennemis. Aussi, pour commémorer cette victoire et remercier Dieu de sa protection, le gouverneur et l'évêque proclamèrent le 5 novembre ?Fête religieuse et civique?, et invitèrent tous les habitants à la célébrer dignement.
Un comité fut chargé d'organiser les manifestations, et il s'acquitta de sa tache avec le plus grand succès.
?Dieu et Patrie!? Cette belle devise, que l'on voyait partout, enflamma les coeurs d'où monta vers le ciel un hymne d'amour et de reconnaissance.
Puis, voulant couronner brillamment cette fête, le gouverneur donna, le soir, au Chateau Saint-Louis, un d?ner et un bal auxquels l'élite de la société avait était conviée.
Madame DeBoismorel, qui avait pris part à toutes les réjouissances profanes de la journée, se proposait bien de participer à celles de la soirée.
Il est 7 heures. La jolie veuve est occupée à sa toilette. Elle possède mieux que toutes les élégantes de Québec et de Montréal le grand art de s'habiller.
Parmi plusieurs robes importées récemment de Paris, elle en choisit une qu'elle veut essayer sous l'oeil connaisseur de sa couturière. Celle-ci, après avoir fait à la robe de légères retouches, déclare à Madame DeBoismorel qu'elle lui sied à merveille. Alors mettant à son cou un collier de diamants et dans ses cheveux une parure de grande valeur, la jeune femme se regarde dans un haute glace, et se trouve fort belle. Elle l'est réellement. Aussi, au moment de prendre congé, la couturière lui dit avec sincérité:
--Madame, vous êtes d'une beauté ravissante! Je suis certaine que vous ferez bien des jalouses au Chateau Saint-Louis.
--Merci et bonsoir! répond la coquette.
Puis elle se replace devant le miroir, se regarde longtemps, sourit à son image, et, prenant un air de triomphe, elle dit presque à haute voix: ?Ce soir, comte Louis de Frontenac, vous serez à mes pieds!?
Soudain, le timbre de la porte résonne bruyamment.
Peste soit de l'importun! grogne la veuve. Puis, s'adoucissant, elle dit:
--Henriette, va ouvrir. Je ne re?ois personne, tu comprends, hein? personne... excepté le lieutenant DeBeauregard.
--C'est bon, m?dame, répond la servante.
Après un court moment, Henriette revient, la mine embarrassée,
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