Une Intrigante sous le règne de Frontenac | Page 3

J.-B. Caouette
boulet lancé par le brave Lemoyne de Ste Hélène fit tomber à l'eau le pavillon amiral, que deux Canadiens, l'un de Québec et l'autre de Beauport, allèrent chercher en canot d'écorce, sous une pluie de balles.
Ce glorieux trophée fut porté en triomphe à la cathédrale, où il resta jusque en 1759.
Les premiers coups de canon tirés par les soldats de Frontenac furent le signal d'une lutte qui dura six jours.
Bref, les Anglais essuyèrent une défaite humiliante, et ils disparurent dans la nuit du 22 octobre...
Le général Phips perdit six cents hommes, et neuf de ses vaisseaux sombrèrent dans le bas du fleuve avec une grande partie de leurs équipages.
Frontenac, tout en immortalisant son nom, venait de sauver la colonie!
[Illustration: Déco]

[Illustration: Front.]

Où DUCHOUQUET SE RéVèLE UN ADROIT LIMIER
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La veuve DeBoismorel avait recommencé ses gracieux envois de fleurs. Son messager était un petit gar?on d'une quinzaine d'années, à l'oeil vif et intelligent. Il paraissait très discret. Aux questions qu'on lui posait sur la provenance des fleurs, il répondait invariablement par un muet sourire.
Un jour que Duchouquet passait en voiture près du marché de la haute-ville, il aper?ut le petit messager qui trottinait sur le trottoir.
--Où vas-tu donc de ce pas? lui cria-t-il.
--A la basse-ville et à Charlesbourg, monsieur.
--Alors, monte ici, nous ferons route ensemble, car je me rends précisément au Bourg-Royal.
Le petit gas, sans se faire prier, grimpa dans la voiture, heureux de s'exempter une marche de sept milles.
--Aimes-tu les chevaux? lui demanda Duchouquet.
--Oh! oui, monsieur, je les aime beaucoup, beaucoup!
--Eh bien! prends les guides et conduis à ma place.
Puis, d'un air indifférent, il ajouta:
--Je te connais de vue depuis longtemps, mais j'ignore ton nom.
--Je m'appelle Louis Renaud, monsieur.
--Et tu demeures?
--Au pied du Coteau Sainte-Geneviève.
Duchouquet, craignant de para?tre trop curieux, ne voulut pas lui en demander davantage. Il lui offrit des bonbons qui furent agréés avec joie.
Le gamin descendit chez un nommé Bédard, près de l'église de Charlesbourg, et Duchouquet fit mine de continuer sa course dans la direction de Bourg-Royal.
--Je viendrai te prendre dans une heure, dit-il à Louis Renaud.
--Merci, monsieur; je vous attendrai.
Le lecteur a sans doute deviné que Duchouquet n'avait nullement l'intention de se rendre au Bourg-Royal. C'était un prétexte qu'il s'était donné pour accompagner l'enfant, dans l'espoir d'en obtenir des renseignements utiles.
Au bout d'une dizaine d'arpents, il attache son cheval à un arbre, alluma sa pipe et s'assit sur le gazon.
Une heure plus tard, Duchouquet reprenait l'enfant qui portait un vase rempli de framboises.
--Tiens! tiens! est-ce toi qui as cueilli ces jolis fruits?
--Oui, monsieur.
--C'est pour ton ma?tre ou ta ma?tresse sans doute?
--Non, monsieur, c'est pour moi-même.
--Veux-tu me les vendre?
--Oh! je n'oserais pas vous les vendre, mais vous me feriez un gros plaisir si vous vouliez bien les accepter.
--Volontiers, fit Duchouquet; et il glissa dans la poche de l'enfant une pièce de cinquante sols. Mais en retirant sa main, il sortit de la poche (accidentellement en apparence) deux grandes enveloppes, soigneusement scellées, qui tombèrent dans la voiture.
Il est bon de dire que, du coin de l'oeil, il avait déjà remarqué ces enveloppes.
--Ah! ah! fit-il en riant, te voilà devenu facteur de Sa Majesté!
--Ce sont deux lettres pour la France qu'on m'a chargé de remettre au capitaine du brigantin qui fera voile demain matin.
--Je puis d'éviter cette course, car je dois porter des colis, ce soir, à bord du vaisseau, et je pourrai donner ces lettres au capitaine Blondin que est mon meilleur am.
--Vous êtes vraiment trop bon; je vous remercie d'avance pour ce nouveau service.
Duchouquet pla?a les deux plis dans son gousset, et, ayant derechef confié les guides à l'enfant il se croisa les bras et se prit à rêver à la veuve DeBoismorel ou plut?t à la déception qu'il réservait à cette intrigante.
Pas n'est besoin d'ajouter que le rusé renard, dès son retour au Chateau Saint-Louis, remit les lettres au gouverneur.
Frontenac, après s'être fait raconter les détails de l'aventure, dit à son serviteur:
--Je vous félicite. Vous avez déployé beaucoup de tact et d'adresse dans cette affaire.
Resté seul, le gouverneur examina ces lettres dont l'une était adressée à la comtesse de Frontenac, et l'autre au lieutenant de marine Paul Aubry, 36, rue Cluny, Paris.
La tentation lui vint d'ouvrir la lettre destinée au lieutenant Aubry; il en avait d'ailleurs le droit en sa qualité d'administrateur de la Nouvelle-France. Mais il eut un scrupule. Il appela auprès de lui René-Louis Chartier de Lotbinière, conseiller du roi et lieutenant-général civil et criminel, à qui il fit part de ses soup?ons contre la veuve DeBoismorel.
Chartier de Lotbinière, sans hésiter, rompit le cachet de la lettre qu'il lut à haute voix. En voici la teneur:
?Mon cher frère,
?Ta dernière lettre, que j'attendais avec une vive anxiété, et que j'ai re?ue hier, a rempli mon ame de joie. Merci, mon chéri!
?Les nouveaux renseignements que tu me donnes sur Louis XIV ne m'ont causé aucune surprise, car
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