Une Intrigante sous le règne de Frontenac | Page 2

J.-B. Caouette
avait, à Paris, un frère qui lui servait de complice. C'était un misérable qui dénon?ait à Frontenac, sous le voile de l'anonymat, la prétendue inconduite de sa femme, que toute la Cour de France avait surnommée la ?Divine?, à cause de sa beauté, de son esprit, de son tact et du prestige qu'elle exer?ait sur tous ceux qui l'approchaient.
Madame DeBoismorel avait une confiance aveugle dans le succès de sa double diplomatie: l'envoi de ses lettres perfides et l'offrande de ses fleurs. Avec l'arme de la première, elle briserait les faibles liens qui pourraient peut-être encore exister entre le gouverneur et sa femme; avec le parfum subtil de ces fleurs, elle captiverait le coeur du mari outragé!
La jolie veuve se voyait déjà par la pensée la gouvernante de la Nouvelle-France et l'idole de la société canadienne-fran?aise... Mais elle comptait sans le hasard, la perspicacité de ceux qu'elle voulait perdre!
Frontenac avait résolu d'infliger à l'intrigant et à ses complices une punition exemplaire. Cependant, en homme avisé qu'il était, il n'agirait qu'après avoir pensé à tout. Il tenait à l'amour de sa femme non moins qu'à l'honneur. Certes! il s'avouait volontiers les torts qu'il avait eus jadis envers la comtesse par ses liaisons scandaleuse avec madame de Montespan, la favorite de Louis XIV. Mais ces torts, ces péchés de jeunesse, il les avait généreusement réparés et longtemps expiés. Aussi Dieu, la comtesse et le monde les avaient sans doute pardonné et oubliés.
* * *
Nous croyons juste et nécessaire d'ouvrir ici une courte parenthèse.
Pour détruire les sottes légendes que certains historiens ont brodés avec un art diabolique sur le compte du gouverneur Frontenac et de son épouse, il me suffira, je crois, de résumer l'opinion--appuyée sur la raison et l'autorité de l'histoire--, d'un de nos écrivains les plus consciencieux, feu Ernest Myrand:
?Madame de Frontenac fut un pouvoir caché dans le rayonnement du tr?ne de Louis XIV.
?Arbitre reconnu de l'élégance, du bon go?t et du bel esprit, madame de Frontenac possédait le don de se créer autant d'amis que de connaissances qui, tous, avaient pour elle une admiration pleine de respect.
?Cette fascination irrésistible, la comtesse--diplomate l'employa à notre profit en deux circonstances mémorables: la première, lors de la nomination de son mari (6 avril 1672) au poste de gouverneur de la Nouvelle-France, et la seconde quand elle fit renter Frontenac (7 juin 1689) dans son gouvernement de Québec.
?Ne lui gardons pas une amère rancune d'être demeurée là-bas, en France, tout le temps que durèrent les deux administrations de son mari. Demeurant à Paris en permanence, madame de Frontenac était bien placée pour conjurer les intrigues, répondre aux plaintes et combattre les ennemis du gouverneur cherchant à le perdre, à le ruiner dans l'estime de Louis XIV par tous les moyens secrets ou déclarés.?[2]
[Note 2: ?Frontenac et ses amis?, Ernest Myrand, Québec, 1902.]
[Illustration: Déco.]

[Illustration: Front.]

FRONTENAC SAUVE LA COLONIE
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Deux mois se sont écoulés depuis l'incident de madame DeBoismorel. Des événements de la plus haute importance nous imposent le devoir de reléguer quelques instants cette intrigante dans l'ombre. D'ailleurs nous la retrouverons plus loin.
L'Angleterre rêvait depuis longtemps de s'emparer du Canada, cette perle du Nouveau-Monde, et de hisser son fier drapeau au mat de la citadelle de Québec.
Aussi, le 16 octobre 1690, sa flotte, composée de trente-quatre vaisseau, jeta l'ancre près de l'Ile d'Orléans.
Frontenac était prêt à la recevoir. Car il connaissait, par ses éclaireurs, les desseins et les mouvements des ennemis de la colonie, et il savait même que ceux-ci étaient sous le haut commandement du général sir William Phips.
Le gouverneur ne redoutait pas les combats qu'on allait lui livrer. Et sa confiance dans la victoire reposait non seulement sur la bravoure éprouvée de ses soldats, mais aussi sur le courage manifesté par tous les citoyens de Québec et par ceux des paroisses environnantes, en age de porter les armes. Il comptait également sur le précieux concours que les Canadiens-fran?ais des Trois-Rivières et de Montréal lui avaient spontanément offert.
Or, sur les dix heures, Frontenac vit une chaloupe partir du vaisseau amiral anglais et se diriger vers Québec.
Elle portait un drapeau blanc et avait à son bord un parlementaire.
Lorsque celui-ci toucha le rivage, il fut conduit, les yeux bandés, au Chateau Saint-Louis où se tenait Frontenac entouré d'un brillant état-major.
Le parlementaire donna lecture d'un document ayant tout le caractère d'une insolente sommation et que terminaient ces mots: ?Votre réponse positive dans une heure, par votre trompette avec le retour du mien, est ce que je vous demande au péril de ce qui pourrait s'ensuivre.?
--Je ne vous ferai pas attendre si longtemps, riposta Frontenac! Et il ajouta: ?Dites à votre général que c'est par la bouche de mes canons et à coups de fusil que je lui répondrai...?
Quand le parlementaire fut rendu à bord de son vaisseau, les soldats de Québec saluèrent leurs ennemis par une salve d'artillerie. Un
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