Une Confédération Orientale comme solution de la Question dOrient (1905) | Page 8

Un Latin
ont su conserver, depuis les jours de Paul-Émile et à travers les effroyables
tourmentes de deux millénaires, la conscience de leur origine, et il n'y a peut-être pas,
dans l'histoire des peuples, un second exemple d'une telle vitalité de race. Ce n'est pas
d'ailleurs la seule nationalité que la tutelle religieuse du patriarcat grec ait été impuissante
à convertir à l'hellénisme, sans parler des Bulgares de Macédoine qui s'en sont affranchis
violemment.
C'est dans l'intérêt même d'une solution pacifique du problème oriental, et sans parti pris
pour ou contre l'une des races chrétiennes de la Péninsule, que nous avons cru devoir
fournir ces explications succinctes concernant les populations roumaines d'au delà du
Danube. L'Occident connaît moins, en effet, cet élément latin, malgré son importance en
Macédoine comme intelligence, comme richesse, et même comme nombre[11].
[Note 11: La Macédoine s'est sensiblement dépeuplée depuis les tristes événements de
ces dernières années, et ne compte guère plus de 1,800,000 habitants, chiffre qui se
décompose approximativement de la façon suivante:
300,000 Turcs. 375,000 Roumains. 200,000 Albanais musulmans. 100,000 Albanais
chrétiens. 450,000 Bulgares. 50,000 Serbes. 250,000 Grecs 100,000 Israélites.]
Il serait pourtant d'une absolue impossibilité d'arriver à une entente comprenant le
royaume de Roumanie--bien qu'État extra-balkanique, sauf pour la Dobroudja--comme à
un démembrement éventuel de la Turquie d'Europe, sans tenir compte de ce facteur
important.
Il est bon de rappeler que le gouvernement ottoman, bien avant d'admettre, dans la
commission des réformes, un délégué «valaque» comme représentant d'un élément

distinct,--un point sur lequel nous reviendrons,--a formellement reconnu aux Roumains
de l'Empire l'indépendance religieuse, synonyme en Turquie d'individualité de race, et
cela malgré l'énergique opposition du patriarcat grec de Constantinople.
Le patriarcat, en vertu d'une tradition ou plutôt d'une usurpation séculaire, tend à
confondre l'orthodoxisme avec l'hellénisme dans l'ouest et le sud de la péninsule
balkanique, et redoute, après l'hégémonie religieuse des Bulgares, celle des Roumains de
Turquie, et vraisemblablement plus tard celle des Albanais du rite oriental. Notons en
passant, ou plutôt répétons, puisque nous l'avons dit à propos de l'exarchat bulgare, que la
volonté de ces différentes races de posséder une Église propre, indépendante du patriarcat,
ne constitue pas en réalité un schisme, du moment qu'elles restent fidèles à tous les
dogmes de l'orthodoxie.
La propagande grecque en Macédoine est entrée ces temps derniers dans une phase de
violence dangereuse, depuis qu'effrayée par les progrès de la cause roumaine, elle semble
vouloir imiter les procédés d'intimidation des comitadjis bulgares[12]. Si cette attitude
continuait à être ouvertement soutenue par les ministres de l'Église patriarcale, elle
constituerait un réel danger pour la paix en Macédoine et ne ferait sans doute que le jeu
de l'Autriche-Hongrie, toute prête à faire avancer ses régiments de Novibazar pour venir
rétablir l'ordre, au cas où l'Europe craindrait d'abandonner ce soin aux troupes impériales
ottomanes.
[Note 12: Les collisions que l'on a signalées tout dernièrement dans diverses localités et
notamment à Monastir, se sont d'ailleurs produites entre Roumains dits grécomanes ou
hellénisés, fermement attachés à l'Église grecque représentée par le Patriarcat, et
Roumains que l'on pourrait appeler latinisants, c'est-à-dire qui recherchent avant tout,
dans l'institution de communautés et d'églises roumaines, la conservation de leur
individualité ethnique.]
Les panhellénistes sauraient-ils oublier--et ce souvenir devrait les incliner à l'équité--que
les Roumains du Pinde et les Albanais, les premiers surtout, furent longtemps les plus
fermes soutiens de l'hellénisme, et que l'un des précurseurs de la révolution grecque, le
poète Rigas, Roumain de Thessalie, ne confondait pas dans ses chants les diverses races
balkaniques, lorsqu'il s'écriait:
Bulgares et Albanais, Serbes et Roumains, Épirotes et insulaires, d'un même élan Tirez le
sabre pour la liberté; L'Hellade vous appelle et vous tend les bras!
Bulgares, Roumains, Serbes, Albanais et Grecs, telles sont précisément les nationalités
épiro-macédoniennes que nous allons maintenant examiner avec quelque détail. À la
classification établie, voici cent ans et plus, par le barde très averti de l'émancipation
hellénique, nous n'aurons à ajouter, pour être complet, que les Monténégrins.

CHAPITRE III
LES BULGARES

La principauté de Bulgarie fut créée sur des bases assez équitables par le traité de Berlin;
mais ses habitants n'ont jamais pu oublier que le traité de San-Stefano leur assignait un
territoire s'étendant du Danube à l'Archipel et englobant la Macédoine et une partie de la
Thrace. Aussi, pour arriver à regagner les frontières que voulait d'abord leur assurer la
Russie et dont les priva le veto de l'Europe, les Bulgares ont-ils déployé une énergie, une
audace révolutionnaire susceptibles de provoquer les plus grandes complications, si
l'Autriche-Hongrie et la Russie, en tant que puissances mandataires, n'avaient assumé la
charge d'enrayer leur action en Macédoine par l'application, si laborieuse, si décevante
d'ailleurs, d'un programme de réformes.
Au point de vue historique, les prétentions des Bulgares à s'étendre seuls vers le sud ne
sont pas plus légitimes que les prétentions des Grecs à s'étendre seuls
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